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c’était enfin l’occasion de donner au Portugal et à ses souverains un témoignage de sympathie : deux délégués ont donc été nommés pour étudier l’exposition.


On conçoit facilement qu’il ne peut être question ici de décrire les milliers d’objets d’art qui figuraient au palais de Pombal, transformé en palais des beaux-arts ; le but est plus élevé et l’intérêt qu’offrent ces sortes d’expositions dépasse la portée que leur attribue la foule, pour peu qu’on sache lire, comprendre, et rattacher, comme il convient, les monumens aux périodes historiques qui les ont vus naître. Qu’un sage esprit de méthode et une rigoureuse classification chronologique président à l’installation des objets, le visiteur attentif va assister au développement successif des forces de la production nationale, aux transitions et aux variations du goût : telle ou telle forme exotique lui révélera l’influence étrangère, qui vient étouffer le génie national, rappeler la nation au sentiment de la mesure, ou, au contraire, pervertir le goût public, et il touche ainsi du doigt l’apogée, comme il reconnaît les signes visibles de la décadence.

Arrêtons-nous un instant, par exemple, en face du merveilleux Ostensoir de Belem, commandé par le roi dom Manoel, en 1566, en commémoration de la découverte des Indes. Vasco de Gama vient d’imposer le vasselage aux Indiens qu’il a soumis ; les flottes portugaises entrent dans le Tage chargées de lingots d’or, premier tribut des vaincus ; dom Manoel appelle Gil Vicente son orfèvre : il va dessiner un monument religieux qui deviendra un type d’architecture. Sur la base rampent les reptiles grimpent les oiseaux aux couleurs vives et les fleurs éclatantes des pays découverts ; aux colonnes accouplées il attache les sphères qui symbolisent l’esprit des découvertes géographiques, sur la plate-forme où se dresse le disque de cristal de roche renfermant la sainte hostie, il agenouille les douze apôtres, statuettes d’or massif revêtues des plus riches émaux. Afin de faire de ce précieux monument un document historique plus précieux encore, Gil Vicente écrit à la base le nom du roi qui a commandé l’œuvre, « avec le premier or rapporté des Indes, » et c’est par le testament de dom Manoel, où il ordonne de livrer l’ostensoir au monastère de Belem, que nous apprenons le nom de l’artiste. A quelques pas de là, sous une autre vitrine, au fond d’une coupe en vermeil, nous voyons la flotte portugaise qui va doubler le Cap ; plus loin, nous arrivons à Melande ; la renommée étend ses ailes, elle proclame la gloire des conquérans et vient à leur rencontre à l’entrée du port, montée sur un char traîné par des éléphans. La matière s’anime à nos yeux, elle parle ; à sa voix, les faits se déroulent, l’esprit national se révèle, l’imagination