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n’est-ce pas ? Oh ! que nous aurions de nombreuses occasions de l’être s’il nous était donné d’apercevoir plus souvent le fond persistant d’incroyables chimères qui se cachent non seulement chez des individus isolés, mais chez des populations entières ! Béranger avait bien rencontré un royaliste fervent qui attendait l’heure bénie de voir sur le trône de France un descendant authentique du Masque de fer, il existe des partisans de la royauté légitime qui se rallient à un fils de Louis XVII par eux découvert, et il y a quelques années, comme j’errais en Provence, on me parla d’un banquet qui avait été récemment offert par les félibres provençaux aux félibres catalans et où on avait bu largement à la résurrection du royaume d’Arles.

Le talent de Nodier gagna à la révolution de juillet une note nouvelle, une note satirique et humoristique qui jusqu’alors avait dormi en lui, les précédens régimes étant peu faits pour l’éveiller. La gaîté ironique et la verve fantasque eussent été, en effet, des armes fort inefficaces contre le régime impérial, et le sentiment du ridicule plus inefficace encore contre les divers régimes révolutionnaires dont Nodier avait été le témoin et où il avait trouvé plus de sujets de larmes ou de colère que de rire. La révolution de juillet permettait une moins sombre humeur et une prudence moins craintive, elle fournit à Nodier les occasions de gaîté qui avaient manqué à sa werthérienne jeunesse. On sait l’incroyable pandémonium de folies de tout genre, et, comme aurait dit un honnête janséniste du XVIIe siècle, de libertinages en tout sens des années qui suivirent 1830, les excentricités présomptueuses des sectes, les ambitions sans vergogne des opinions, le cynisme amusant des modes et du langage des jeune France romantiques ou révolutionnaires, par-dessus tout l’avènement du humbug industriel lançant ses premiers programmes à douteuse sincérité. Ce fut un moment unique de fermentation qui tranche de la manière la plus amusante (vu à distance) avec les périodes analogues des révolutions qui avaient précédé et qui ont suivi ; les mots de blague et de blagueur, inventés alors ou admirablement traduits du langage d’un pays voisin viennent juste à point pour en caractériser l’écume abondante et le bouillonnement. La matière était riche ; Nodier n’en exploita que quelques points, ceux qui offensaient plus particulièrement ses goûts de grammairien expert, d’érudit respectueux des vestiges du passé, ou de rêveur ardent à la défense de toute chose qui intéressait la vie de l’imagination, comme ces patois par exemple pour lesquels il fit si bravement campagne contre je ne sais quel conseil municipal ou général de province qui en demandait la suppression. C’était l’heure des néologismes, et Nodier en avait une horreur qu’il étendait même