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L’irréligion d’état, le fanatisme à rebours, nous les réprouvons autant que vous. Je l’ai répété à satiété, jusqu’à fatiguer l’une et l’autre chambre. La politique du gouvernement est loyalement concordataire ; il veut rester fidèle aux obligations que le concordat lui impose ; il ne veut rien faire qui puisse empêcher la diffusion de l’enseignement religieux. » Malheureusement les déclarations ne valent pas les faits, et les faits démentent ici toutes ces belles assurances. Dans le principe, on ne se proposait, disait-on, que de restituer à l’état ses frontières naturelles. Et, sous prétexte de les lui rendre, on bouleversait toute la législation scolaire. D’une part, on excluait brutalement l’élément religieux des conseils universitaires et l’on enlevait à l’enseignement privé toutes ses garanties en réduisant à des proportions dérisoires le nombre de ses représentans ; d’autre part, on retirait aux établissemens libres d’enseignement supérieur le droit de conférer les grades et de prendre le titre d’université. Dans le même temps, pour punir le sénat d’avoir repoussé l’article 7, on imaginait de ressusciter une législation tombée depuis longtemps en désuétude, et la campagne des décrets commençait. L’administration, la magistrature debout, l’armée même, étaient mêlées à d’odieuses violences ; des milliers de citoyens inoffensifs voyaient tout à coup leurs portes crochetées, leurs domiciles envahis, leurs personnes appréhendées, et le pays interdit assistait au spectacle écœurant de hauts fonctionnaires publics mettant eux-mêmes la main à cette triste besogne. Enfin, comme si ce n’était pas assez de tant de vexations, au lieu de laisser trancher par les tribunaux un conflit où de si graves intérêts privés étaient engagés, on fermait la bouche à la magistrature inamovible, et c’est devant une juridiction administrative qu’on renvoyait se pourvoir les congrégations dissoutes. Ainsi le voulait apparemment la théorie des frontières naturelles de l’état.

Mais voyez où va cette théorie et de quels étranges développemens elle est susceptible. Tout à l’heure il n’était question que de rendre à la puissance laïque ses prérogatives nécessaires ; il ne s’agissait nullement de toucher à la liberté. On se déclarait contre l’influence et l’esprit jésuitiques ; mais on n’avait que de bonnes paroles et de bons sentimens pour la religion : on faisait même assez volontiers patte de velours au clergé séculier. Aujourd’hui, toujours avec la même patte de velours, on le chasse de l’école primaire et, du même coup, on consigne à la porte le bon Dieu. Oui, il s’est trouvé dans le sénat français une majorité pour décréter l’école obligatoire, sans prêtre et sans Dieu. Oui, désormais nos enfans n’auront plus affaire qu’aux autorités civiles, à l’instituteur, à M. le maire, à l’adjoint, aux conseillers municipaux, à M. l’inspecteur, aux délégués cantonaux, que sais-je ? La dignité de ces jeunes citoyens