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ne sera plus exposée à des contacts humilians. Une fois par semaine, une seule fois, en dehors du dimanche, les classes vaqueront « afin de permettre aux parens de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfans, l’instruction religieuse. » S’ils le désirent ! Entendez bien cela : on consent à le tolérer, mais on n’y tient guère ; et la preuve, c’est que ce jour-là l’école sera close, hermétiquement close. Le curé réunira les enfans au presbytère, à la sacristie, et si le presbytère ou la sacristie sont trop petits, dans une grange ou même sur la grand’route, et c’est là qu’il leur apprendra, comme il pourra, le catéchisme. Saint Louis rendait bien la justice sous un chêne, et n’était-ce pas en plein air que les péripatéticiens écoutaient la parole du maître ?

Encore si, les autres jours, l’instituteur était tenu de donner quelques notions de morale spiritualiste ! Mais non. La morale spiritualiste elle-même est écartée pour faire place à l’instruction morale et civique ; on n’a pas osé dire républicaine, le mot eût trop senti la convention. Mais, n’en doutez pas, la chose y est. Et comment n’y serait-elle pas ? A quel principe, en dehors de l’idée religieuse, rattacherait-on la morale, si ce n’est au principe même du gouvernement ? Sous l’empire, la morale civique eût été bonapartiste ; et Dieu sait qu’on ne lui eût pas épargné l’accusation de corrompre la jeunesse ; il va de soi que sous la république elle sera républicaine. Elle sortira toute préparée des laboratoires officiels et portera l’estampille administrative. Les instituteurs la recevront par la poste et l’administreront dans la forme et à la dose indiquée par l’ordonnance ministérielle. Et qu’on ne prétende pas que cette morale, d’origine et de provenance gouvernementales, sera toute aussi propre que l’ancienne à former de bons citoyens. D’abord elle aura nécessairement une tendance polémique, elle sera passionnée, partiale, intolérante. Son but le plus prochain étant moins de faire de l’enfant un homme que de donner à la république une voix de plus, pour y atteindre elle aura tous les courages. S’il faut équivoquer, elle équivoquera ; s’il faut falsifier l’histoire, elle la falsifiera. Les pères Loriquet ne sont pas rares, et, par le temps qui court, le métier est trop lucratif pour ne pas tenter plus d’une plume sans préjugés.

En second lieu, quelle action efficace, quelle salutaire influence pourra bien exercer sur de jeunes cerveaux, le plus souvent à peine dégrossis, une morale dépourvue de toute sanction ? De quel droit et au nom de qui viendra-t-on leur parler de devoir, d’honneur, de patriotisme ? Au nom de la patrie ? Mais qu’est-ce que l’idée de patrie sans l’idée de Dieu ? Une abstraction, un mot sans portée, si ce n’est pour quelques intelligences d’élite. Vous figurez-vous une société de libres penseurs formant une nation, fière, énergique, prête à verser ses trésors et son sang pour défendre son sol ou pour