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travaux, nous n’en devons pas moins notre sincère hommage de reconnaissance à ceux qui, comme M. Pasteur, ont répandu si loin et si largement au dehors l’honneur du nom français. Notre embarras est ici le même à peu près qu’il y a quelques mois l’embarras de l’Académie. Repousser M. Pasteur, c’eût été braver l’opinion, qui ne regarde pas à la nature des titres et devant qui, sans autre discernement des œuvres, toutes les grandes réputations sont égales. Mais l’avoir élu, nous pouvons bien le dire comme nous le pensons, ce n’est certes point parmi les savans qui siègent à l’Académie des sciences, avoir choisi celui de qui les titres littéraires justifiaient le mieux l’élection. Nous l’avons vu dans le discours qu’il a prononcé pour sa réception. On ne déclare pas plus ouvertement, — dans la mesure obligée des convenances académiques, — on ne laisse pas voir plus évidemment, sous la politesse oratoire, que, ne se souciant guère au fond ni de poésie, ni de théâtre, ni de critique, ni d’histoire, on ne voulait que joindre une distinction de plus à toutes celles dont on était déjà comblé. Car, ce qu’il y avait là de très particulier, ce n’était pas, comme dans un autre discours quelconque, telle ou telle phrase échappée de la plume de l’illustre chimiste, involontairement, par mégarde, ou par accident : c’était son indifférence visible à tout ce qui se passe en dehors des quatre murs du laboratoire de chimie de l’École normale, et c’était son dédain pour l’œuvre de tous ceux qui ne sauraient trouver dans le col d’un matras « la justification de leurs principes, » ou montrer au fond d’une cornue « la preuve de leurs découvertes. » Dédain que l’on hésite à condamner d’ailleurs ! puisqu’aussi bien nous lui devons les plus belles découvertes de M. Pasteur, s’il est vrai que le monde appartienne à ceux qui, comme lui, sont l’homme d’une seule idée, pourvu seulement que cette idée soit simple, juste et féconde. On ne fait supérieurement que ce qu’on entreprend avec passion, et le propre de la passion est l’insouciance entière, ou, pour mieux dire, l’incuriosité de tout ce qui n’est pas elle.

M. Renan ne pouvait se refuser le plaisir d’inquiéter un peu cette belle assurance. Il l’a fait avec bonne grâce, il l’a fait avec autorité. J’aime surtout ce passage, où prenant en main la cause dont il était l’avocat naturel, il s’exprime en ces termes : « Croyez-moi, monsieur, la critique historique a ses bonnes parties. L’esprit humain ne serait pas sans elle, et j’ose dire que vos sciences, dont j’admire si hautement les résultats, n’existeraient pas s’il n’y avait, à côté d’elles, une gardienne vigilante pour empêcher le monde d’être dévoré par la superstition et livré sans défense à toutes les assertions de la crédulité. » Il serait difficile de mieux dire, et de rappeler plus ingénieusement aux sciences les plus positives dans quelle dépendance étroite elles sont de la critique et de la métaphysique même. Si l’aiguillon de la recherche