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conservateur qui se puisse imaginer, en donnant un caractère constitutionnel et permanent aux institutions de la France ?

En tenant ce langage, il répondait aux sentimens du pays fatigué de l’incertitude et ne voyant devant lui que des illusions sans lendemain. Battu dans l’assemblée, il ne perdait pas courage, et lorsque M. Wallon commençait fort à propos sa campagne contre le provisoire, M. Dufaure était auprès de lui, l’appuyant à la tribune comme il avait soutenu ses projets dans la commission des trente et déterminant par sa parole les actes de raison qui ramenèrent du centre droit quelques voix courageuses et déterminèrent le vote du 30 janvier. La lutte soutenue avec tant de vigueur, depuis quatorze mois, dans le sein de la commission, avait porté ses fruits. La décision de l’assemblée, en écartant l’œuvre des trente, jeta le désarroi dans leurs rangs. De ce jour, ce fut M. Dufaure qui se fit en réalité le leader du débat, et chaque scrutin vint attester à la fois la défaite de ses adversaires et leur résignation croissante.

M. Dufaure ressaisissait son autorité sur l’assemblée. Ceux même qui ne l’avaient pas suivi reconnaissaient qu’il était l’homme nécessaire. On ne parlait pas de l’appeler à former un cabinet, mais le jour où M. Buffet fut chargé par le maréchal de constituer un ministère, il fut entendu entre les politiques que les sceaux seraient rendus à celui qui avait poursuivi avec patience la constitution des pouvoirs, non comme une revanche du 24 mai, mais comme l’accomplissement d’un devoir patriotique ; il refusa d’entrer seul dans le cabinet, et il obtint que le portefeuille des finances fût donné à M. Léon Say. Il fut entendu que la première mission du ministère serait d’achever l’œuvre si longtemps retardée et enfin commencée des lois fondamentales. Dans ces circonstances, M. Dufaure ne pouvait refuser l’appel qui lui était fait. Il y a une règle de loyauté qui domine les relations parlementaires et qui interdit à celui qui a fait triompher un principe de se refuser à l’appliquer. Entre la politique de 1874, qui vivait d’ajournemens, et celle de 1875 qui menait à un but défini, la mise en mouvement des rouages constitutionnels, avec la constitution des deux chambres, il y avait toute la distance qui sépare l’immobilité de la marche. M. Dufaure, qui n’avait cessé de soutenir la politique nouvelle, ne pouvait se refuser a la servir. Il rentra à la chancellerie qu’il avait quittée depuis le 24 mai comme s’il en était sorti la veille, et sa première circulaire aux procureurs généraux avait pour but de renouer le fil rompu de la tradition : « Étranger, leur écrivait-il, depuis bientôt deux ans, à l’administration de la justice, je désire savoir les difficultés que vous avez rencontrées. » Après leur avoir annoncé « le régime défini et légal qui venait de remplacer un état provisoire, » il insistait sur les menées bonapartistes et sur la vigilance qu’elles exigeaient. Peu de jours