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après, le garde des sceaux remettait en vigueur l’une des règles auxquelles il tenait lé-plus et qu’avait annulée l’un de ses prédécesseurs : il enjoignait aux juges de paix de se renfermer dans leurs fonctions judiciaires. En un mot, on sentait qu’un ministre de la justice, soucieux d’arracher les juges aux périls de la politique, venait de ressaisir la conduite des affaires.

Le garde des sceaux avait hâte d’accomplir son premier devoir en déposant les projets complémentaires sur les rapports des pouvoirs publics et sur les élections des sénateurs. Les droites avaient épuisé leurs forces, et la discussion de ces lois se produisit sans incident notable.

M. Dufaure était fort inquiet des agitations du parti de l’appel au peuple. Plus son prédécesseur avait paru indifférent aux rapports du procureur-général près la cour de Paris, et plus M. Dufaure avait à cœur de défendre M. de Leffemberg contre les attaques de M. Rouher. Il semblait que, depuis quelque temps, les partis eussent le droit de conspirer. « Il y a là, dit-il, des essais, des efforts sur lesquels nous devons avoir incessamment les yeux ouverts. Je n’admettrais jamais, quant à moi, je ne garderais jamais le pouvoir à cette condition qu’après tout ce qui a été dit du haut de cette tribune et tout ce qui a été écrit dans cette enquête, vous vissiez un gouvernement indifférent, sans souci, fermant les yeux sur les tendances, les projets qui ont été manifestés par le parti du comité de l’appel au peuple, et qui ne fût pas prêt, au moindre pas que l’on ferait sur cette pente, à les réprimer, comme tout projet pareil qui, de tout autre côté, mettrait la société en péril. » Ce langage sortant d’une bouche ministérielle était nouveau : évidemment le ministre de la justice était résolu à montrer qu’il existait un gouvernement respectant la constitution et décidé à la faire respecter.

Néanmoins tant que la chambre haute n’était pas créée, l’équilibre risquait à tout instant de se rompre. Pour atteindre ce but, il fallait suivre une politique de ménagemens, ne pas froisser l’assemblée, savoir attendre, regarder à la fois la majorité pour éviter une rupture et les partis pour modérer leurs manifestations. Telle fut la tâche difficile de l’année 1875. M. Dufaure ne fit de grands discours qu’en faveur du scrutin d’arrondissement. Il était persuadé que le scrutin de liste, favorable à l’établissement de grands courans d’opinion, était le suffrage qui convenait aux heures troublées qui précèdent l’élection des assemblées constituantes et souveraines. En 1848, en 1871, ce mode de scrutin avait sauvé la société. Il trouvait naturel que ceux qui veulent faire de la politique à outrance s’en lissent les défenseurs. En 1876, M. Dufaure, comme la France, était fatigué de la politique des partis. Pour lui, il ne s’agissait pas d’élire une constituante on se fussent reflétées sous leurs nuances les