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les autres, repose tout entière sur une illusion qui n’est pas autre chose que le reflet prolongé des réalités disparues, reflet persistant par une sorte d’incompréhensible mirage. Ce reflet lui-même disparaîtra à son tour quand l’homme sera tout à fait persuadé qu’il n’y a autour de lui, au-dessus de lui, devant lui, rien de plus que le jeu éternel des forces aveugles. Que serait en effet cet idéal dans la méthode rigoureuse de l’école ? D’où pourrait-il bien sortir, sinon d’un travail tout personnel de l’esprit, qui le crée et l’élabore sans aucune règle, sans aucun principe objectif, sans aucune autre raison de choix que sa fantaisie ? C’est de l’imaginaire pur, c’est de l’arbitraire ; chacun l’engendre dans sa conscience, le façonne à son goût, l’épure ou l’élargit à sa mesure. C’est l’esprit de chacun qui s’adore complaisamment dans cette image abstraite de lui-même. Voilà ce qu’il faut bien voir, voilà ce qu’il faut nettement montrer à cette foule intelligente, mais irréfléchie, si facilement dupe des mots, si prompte aux illusions agréables, qui se console des réalités perdues en se réfugiant dans ce dernier rêve et s’enchante de la beauté du nom, qu’elle prend pour une idée, ne s’apercevant pas que ce nom ne sert qu’à dissimuler ou bien un reste inavoué de superstition spiritualiste ou le néant même de toute pensée, et à ménager ainsi un dernier culte, le plus vague et le plus invraisemblable de tous, à ceux qui n’en ont plus.

Passons en revue quelques-unes des formes sous lesquelles se traduit ce culte de l’idéal et voyons si, au point de vue de la logique nouvelle, aucune de ces formes a le droit de se maintenir aussi haut dans l’estime et l’admiration des hommes, si elles méritent que tant de belles activités s’y dévouent, que tant de laborieuses existences s’y consacrent et qu’on s’épuise ainsi à poursuivre des fins rapidement entrevues, sitôt évanouies, bien peu consistantes et parfois même entièrement mensongères. Que dire, par exemple, de ce qui nous paraît être un des buts les plus nobles de la vie, le dévoûment à la science ? Certes nous applaudissons de grand cœur quand on célèbre en un beau langage ces intelligences courageuses, ces volontés passionnées qui devant nos yeux ont construit pierre par pierre l’édifice d’une science colossale, qui ont vécu presque uniquement pour satisfaire leur ardent besoin de vérité, qui ont poussé le travail jusqu’à l’héroïsme et par là mérité d’être à leur jour « une des consciences les plus complètes de l’univers. » Nous aimons qu’on nous dise que la haute vie de tels hommes « les a mis en rapport avec l’esprit éternel qui agit et se continue à travers les siècles. » Mais à quelle condition ce langage nous émeut-il ? C’est qu’il soit aussi exact qu’il est beau, c’est que le besoin de vérité ne soit pas une agitation sans but et une poursuite dans le vide, c’est