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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/756

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précepte de Quintilien ; il s’y conformait. La politique s’était emparée de lui : les humanités où l’on avait brillé jadis, les lettres françaises qui réclament toujours des partisans de bonne volonté, l’histoire où l’on aurait pu devenir un maître, tout s’évanouissait devant le rêve poursuivi, et un grand talent était dépensé à écrire des « premiers Paris » qui n’avaient pas vingt-quatre heures à vivre. J’ai toujours été surpris de la voie que Prévost-Paradol avait choisie, mais l’homme obéit à son tempérament aussi fatalement que l’animal obéit à son instinct. On eût dit qu’il voulait s’exercer à ses grandeurs futures et faire l’apprentissage des élégances que le sort lui réservait. Il aimait à montera cheval, on lui prêtait des chevaux ; il aimait la bonne chère, on l’invitait à dîner ; il aimait l’opéra, on lui réservait sa place dans des loges ; mais il aimait à fréquenter certains petits théâtres et il y allait seul. Souvent je l’ai regardé curieusement, lorsqu’il se rencontrait avec d’anciens camarades de l’École normale ; il était fort aimable, mais d’une certaine condescendance nonchalante qui ne se livrait pas ; il semblait dire : « Nous avons été sur les mêmes bancs, soit, mais nous ne fréquentons pas les mêmes salons. » Le « bon élève » n’avait cependant pas tout à fait disparu en lui. Un jour, aux Débats, que nous discutions sur le fameux distique d’Achelladas, il fut surpris d’entendre citer du grec par des écrivains « qui manquaient de bases, » c’est-à-dire qui n’avaient point étudié pour être professeurs, et sa surprise fut d’autant plus vive qu’il ne connaissait pas les deux vers dont nous parlions. Il avait de ces petites faiblesses : les meilleurs esprits n’en sont pas exempts. Aurait-il réussi dans la littérature d’imagination ? J’en doute ; une nouvelle qu’il ne signa pas et que la Revue des Deux Mondes publia, démontre des maladresses d’exécution que l’on ne retrouve pas dans ses œuvres de polémique. Cette nouvelle, lorsqu’elle parut, fit du bruit dans quelques salons ; on cria même au scandale ; le fond de l’historiette était connu et les masques avaient une telle transparence que, malgré un dénoûment de fantaisie, on les pouvait nommer. On accusa de ce léger méfait quelques gens de lettres qui en étaient innocens. Le véritable auteur se dissimula, il s’indigna plus que nul autre et s’indigna si bruyamment qu’il se dévoila. Huit jours après que la nouvelle eut été insérée dans la Revue, Prévost-Paradol écrivait et signait dans le Journal des Débats (8 février 1860) un article dans lequel il déclarait Madame de Marçay[1] « une œuvre médiocre et d’une lecture pénible ; » de plus, il conseillait à l’auteur anonyme « d’en rester là. » Le conseil était bon, mais Paradol eût mieux fait de se taire, car on ne

  1. Voyez la Revue du 1er février 1866, Madame de Marçay.