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sanglante. Évidemment ce personnage sinistre troublait l’imagination des Étrusques. Ils en étaient eux-mêmes si épouvantés qu’ils croyaient que les autres en auraient peur comme eux. Tite Live rapporte que, dans les combats qu’ils livrèrent aux Romains pour défendre leur indépendance, leurs prêtres se jetaient sur l’ennemi « avec des torches ardentes, des serpens dans les mains et des airs de furie, » c’est-à-dire en imitant autant que possible l’apparence de leur Charun. N’est-il pas curieux que ce pays qui, quatre ou cinq siècles avant le Christ, se préoccupait ainsi de l’autre vie et faisait des tableaux si horribles des enfers et de leurs habitans, soit le même qui ait vu naître au moyen âge le poème de Dante et les fresques d’Orcagna ? À toutes les époques, le diable lui a causé les mêmes frayeurs.


III

Ce qui fait pour nous le prix particulier de ces tombes et de leurs peintures, ce qui explique l’intérêt qu’on prend à les étudier, c’est qu’elles peuvent seules aujourd’hui nous donner quelques lumières sur la vieille Étrurie. Nous pourrions plus aisément nous passer d’elles, nous aurions un moyen plus direct et plus sûr de connaître les Étrusques si nous comprenions leur langue ; mais elle est restée jusqu’ici une énigme pour nous. La science a de nos jours abordé des problèmes qui paraissaient plus difficiles, et elle les a résolus. Elle lit les inscriptions gravées sur les monumens de l’Égypte et de l’Assyrie ; elle a retrouvé la langue des Perses et restitué leurs livres sacrés. Celle des Étrusques ne semblait pas devoir être plus rebelle. Elle a été parlée ou comprise jusqu’au temps de l’empire romain. Il nous reste d’elle un très grand nombre d’inscriptions dont les caractères sont faciles à lire. Comme elles sont presque toutes des épitaphes, on devine à peu près ce qu’elles doivent signifier. Aussi ne peut-on pas dire que personne ne les entend ; au contraire, tout le monde se flatte de les expliquer, mais chacun les explique d’une manière différente, ce qui est pire que de ne pas les comprendre. En réalité, quand nous voulons les analyser scientifiquement, distinguer le verbe du substantif, et chercher le sens exact des mots, tout nous échappe. Après un siècle d’efforts, nous ne sommes guère plus avancés que Lanzi, lorsqu’en 1789 il publia son ouvrage intitulé Saggio di lingua etrusca. On ne put s’empêcher de concevoir quelques espérances, il y a une quinzaine d’années, quand on sut qu’un savant distingué, W. Corssen, connu par ses beaux travaux sur la vieille langue latine, allait appliquer la sagacité de son esprit et la sûreté de sa méthode à l’interprétation de l’étrusque ; mais Corssen n’a pas été plus heureux que les autres ; il est mort, on peut le dire, à la peine, et son livre,