Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fechn, et l’aimable bey nous emmène à la maison qu’il habite, proche de la station et du village, d’où il gère une des grandes propriétés appartenant à la Daïra-Sanièh. Elle est fraîche, d’une propreté extrême, cette maison arabe aux rares fenêtres, et nos chambres, blanchies à la chaux, ornées de beaux tapis, du divan inséparable de toute pièce orientale, sont charmantes après ce poudreux voyage. Le lunch terminé, nous montons dans le petit tramway qu’un cheval traîne rapidement sur les rails qui sillonnant le domaine. Nous allons voir couper et récolter la canne à sucre à une extrémité du Teflish. Les champs de fèves sont en fleur, et l’odeur en est délicieuse. Le bey nous explique les cultures, nous raconte les difficultés qu’il a dû traverser depuis deux ans pour rétablir un équilibre absolument rompu par des fonctionnaires indigènes et malhonnêtes. Malheureusement, l’appui manque souvent, la difficulté de réagir contre les habitudes séculaires de rapine est énorme, et la tâche accomplie par lui avec une énergie incessante est d’une nature bien ingrate. Plus de vingt-cinq villages dépendent du domaine et, par conséquent, uniquement du bey.

Nous arrivons, au bout de deux lieues, à l’endroit où l’on travaille. Quel amusant spectacle ! Sur les rails, un train de vingt wagons vides reçoit la récolte. Autour, dessus, dedans, un essaim de fellahs, portant de longues cannes blanches, vertes, violettes, les jettent dans les chars, les dressent, les rangent. Ils sont près de deux cents : des vieux, des jeunes, des nus, des vêtus, chantant, courant, grimpant. Tout autour, apportant les charges de cannes que l’on vient de couper, des ânes, des chars, des chameaux, puis encore des fellahs, ployant sous leurs lourds faisceaux. Ils sont payés régulièrement, depuis deux ans que le nouvel état de choses est inauguré en Égypte : ils sont en train de devenir prospères et sont déjà plus heureux. Pourvu que les rêves ambitieux d’Arabi-Bey ne viennent pas détruire l’avenir enfin assuré du pauvre fellah ! On travaille avec ardeur, coupant avec une hachette chaque talle à l’ancienne méthode. Car on n’en veut point ici d’autres, et je retrouve dans tout le travail agricole les habitudes des plus anciens temps.

Daninos-Bey a nombre d’inspecteurs et de surveillans. Son chef d’état-major est énorme, grave, digne, la carme, — signe de commandement, — à la main. Enveloppé dans sa robe noire, coiffé d’un turban blanc et chaussé de pantoufles de maroquin citron, il est superbe à la tête de sa troupe d’ouvriers. Pourtant le bey le gronde ; hier, il y a eu une négligence commise et le bey ne passe rien. Je suis confuse pour ce majestueux personnage de le voir si vertement réprimande, l’as une seule femme ou fille parmi les ouvriers. Ici, c’est une honte pour elles de travailler aux champs. Il me vient la fantaisie d’en voir quelques-unes chez elles, dans