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socialisme révolutionnaire, le gouvernement allemand est parvenu à l’enrayer, et il s’applique à lui enlever sa raison d’être en donnant satisfaction aux aspirations légitimes des ouvriers. Qui sait si les difficultés elles-mêmes que rencontre l’accomplissement de cette tâche ne sont pas un avertissement à notre adresse et ne nous obligent pas à répéter l’avis donné par Lope de Vega aux spectateurs frivoles dans le prologue d’un de ses drames : « Prenez garde, il s’agit là de nous-mêmes ? »


I.

Aujourd’hui que l’unité politique de l’Allemagne est à peu près constituée, le chancelier de l’Empire fait de grands efforts pour en assurer l’autonomie financière. Cette autonomie financière de l’Empire allemand préoccupe beaucoup le puissant homme d’état et lui cause de sérieux soucis. À juste titre, il la considère comme le couronnement indispensable de son œuvre, commis la condition ou la garantie sans laquelle l’unité ne peut durer. L’unité nationale, toutes les populations de l’Allemagne l’ont acclamée avec enthousiasme d’un bout à l’autre du pays. En la réalisant avec un bonheur égal à sa persévérance, le prince de Bismarck a répondu aux aspirations intimes et pressantes du peuple. Aussi cette œuvre grandiose, poursuivie avec une indomptable énergie, accomplie au milieu de difficultés multiples, lui donna sur la nation un ascendant tel que ses volontés prirent pendant un temps toutes force de loi. Toutes les propositions soumises au conseil fédéral et au parlement étaient votées aussitôt que présentées. Chose facile alors, dans le premier éblouissement de la fortune ! Enivrée de sa puissance, l’Allemagne était à la dévotion de son chancelier. N’avait-elle pas, outre la gloire, les milliards de l’indemnité française, ressource jugée inépuisable, suffisante non-seulement pour ses besoins, mais encore pour ses caprices ? L’enthousiasme pourtant ne survécut pas aux milliards. Lorsque l’épuisement de ceux-ci et les besoins nouveaux créés par leur emploi obligèrent le gouvernement impérial à demander de nouveaux impôts pour couvrir ses dépenses, l’empressement des premiers temps de l’Empire faiblit. Devant ces charges, le peuple et ses représentans hésitent. Ils trouvent les exigences de leurs gouvernans exagérées, et, ouvrant les yeux, ils commencent à se demander si les lois votées d’abord avec trop de hâte ne sont pas défectueuses. Chacun de resserrer les cordons de sa bourse. Sollicité d’augmenter ses impôts, en place des contributions payées naguère par la France, le peuple allemand échangerait volontiers une certaine dose de gloire contre quelques charges en moins. Sans doute, aucun patriote ne voudrait sacrifier l’unité natio-