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II.

Pour se rendre compte de la valeur, pour apprécier la portée de la politique inaugurée au congrès de Berlin. et si malheureusement abandonnée dans ces derniers mois, on ne doit pas perdre de vue le double rôle de la France dont je parlais tout à l’heure, comme puissance continentale et comme puissance colonisatrice. C’est un préjugé presque universel parmi nous que d’attribuer à la France un défaut absolu d’aptitudes pour la colonisation. L’histoire en démontre la parfaite fausseté. À la fin du XVIIe et au commencement du XVIIIe siècle, notre pays possédait un magnifique empire colonial : il avait le Canada, la Louisiane, Saint-Domingue, les Indes, et tout semblait faire supposer que ces admirables possessions prendraient entre ses mains le plus grand essor. Elles ont été perdues cependant ; mais pourquoi ? mais comment ? Si l’on étudie l’histoire avec quelque attention, on reconnaîtra que nos colonies, comme l’a dit fort justement M. Paul Leroy-Beaulieu, ont été la rançon de nos échecs continentaux. Après avoir, vers la fin du XVIIe siècle, conquis en Europe des frontières solides qui suffisaient à sa puissance comme à sa sécurité, la France aurait dû n’exercer son influence sur le continent que pour le maintien de la paix et de l’équilibre général, consacrant toutes ses forces, employant toute son énergie à la mise en valeur des superbes territoires qu’elle occupait dans les deux mondes. Si die avait ainsi compris ; sa mission historique, elle tiendrait aujourd’hui sur toutes les mers la place qu’y tient l’Angleterre et, comme elle a été plus favorisée que celle-ci par la nature, ses richesses seraient encore plus grandes, sa prospérité plus éblouissante que les siennes. Par malheur, elle s’est engagée dans une voie bien différente. La politique continentale a prévalu ; pendant deux cents ans, elle nous a tellement absorbés que nous n’avons presque pas fait attention à la perte de notre domination coloniale. En avons-nous du moins tiré quelque profit ? Non ! Deux siècles de luttes glorieuses, entremêlées de victoires comme aucune autre nation moderne n’en a remporté, ont laissé, en fin de compte, la France diminuée dans ses frontières, compromise dans son prestige, presque atteinte dans sa vitalité. Il y a là, ce semble, une leçon dont il serait insensé de ne pas profiter. Nos récentes délaites nous condamnent à ne pratiquer sur le continent qu’une politique défensive : n’est-ce pas l’occasion de se rappeler que nous avons été. que nous pouvons toujours être un grand peuple colonisateur et de réparer la faute impardonnable que nous avons commise