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le principe, est beaucoup plus vague et plus lâche que la loi d’hérédité physique. Que signifient ces expressions peu précises: « Une société baisse par la conservation artificielle des individus les moins capables de prendre soin d’eux-mêmes? » M. Spencer veut-il dire que les parens habitués, par exemple, à solliciter les bureaux de bienfaisance, engendreront des enfans doués du penchant inné à se diriger vers les bureaux de bienfaisance? Sans doute, l’Angleterre offre le spectacle de ces pauvres qui sont assistés par les communes de père en fils : ce sont pour ainsi dire les lords de la mendicité; c’est l’indigence héréditaire élevée à la hauteur d’une institution. Les mères pauvres s’entourent de leurs nombreux enfans comme d’autant de titres à l’assistance : ce sont des Cornélies d’un nouveau genre. Mais à qui la faute? N’est-ce pas aux distributeurs de la taxe pour les pauvres, lesquels, d’ailleurs, font chaque jour des progrès sous ce rapport? n’est-ce pas aussi à la mauvaise éducation reçue par les enfans, plutôt qu’à l’hérédité du tempérament? Si ces enfans étaient élevés avec ceux d’un seigneur, manifesteraient-ils le penchant inné à mendier ou à se faire assister par autrui ? En général, nous croyons que MM. Spencer et Darwin, comme MM. Jacoby et Ribot, font une part trop forte à l’hérédité, une part trop faible à l’éducation et aux circonstances.

Il ne faut pas oublier non plus la part de l’organisation sociale et politique en Angleterre. En France, grâce au régime d’égalité, il y a quatre ou cinq millions de propriétaires, et de plus, la population y croît assez lentement pour inquiéter ceux qui se préoccupent avant tout de la puissance matérielle et militaire d’une nation. En Angleterre, le sol est possédé par trente mille personnes et il y en a la moitié aux mains de cent cinquante grands propriétaires. Grâce à cet accaparement féodal et à ce régime d’inégalité (pour lequel plusieurs de nos écrivains montrent aujourd’hui des regrets platoniques), ni les ouvriers ni les villageois ne peuvent vivre sans l’aide des taxes pour les pauvres. Les lords s’étant arrogé le monopole de la richesse, une partie de la nation serait réduite à la plus extrême misère s’ils ne daignaient compenser leur injustice par leur charité. Ils y arrivent d’ailleurs dans une certaine mesure, il faut le reconnaître, puisque depuis trente ans le nombre des indigens assistés a diminué de moitié. Il est vrai que la misère en Angleterre, là où elle subsiste, demeure plus profonde et plus affligeante qu’ailleurs. La situation des ouvriers agricoles est bien inférieure à celle de nos paysans français[1]. « Pour la plus grande partie de l’Angleterre, les gages du

  1. Voir à ce sujet M. A. Coste, Hygiène sociale contre le paupérisme. Introd., ch. III.