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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/451

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réforme : s’il existait un ministère spécial pour ces questions, non moins importantes, semble-t-il, que celles des postes, du commerce et de l’agriculture, l’essor serait bientôt donné. Des emprunts, des dons, des legs permettraient à l’état de faire des essais par des méthodes scientifiques ou d’aider ceux qui veulent en faire. Les individus se soucient peu de léguer leurs biens à l’état en général, pour un usage général et neutre ; mais combien de personnes feraient volontiers des donations ou des legs aux institutions philanthropiques ! Les congrégations religieuses ont un art admirable pour trouver de l’argent en vue de leurs œuvres de bienfaisance; l’état ne devrait pas se croiser les bras et se désintéresser comme s’il n’avait à ce sujet aucune obligation précise. La prévoyance, la bienfaisance publique, la « fraternité, » dans nos sociétés modernes régies par des lois de plus en plus complexes, ne saurait demeurer une sorte de luxe moral entièrement abandonné aux hasards de l’inspiration individuelle; elle est un devoir général de justice, elle est une œuvre de science et non de pur sentiment, à laquelle doivent concourir l’économie sociale et l’histoire naturelle. En effet, l’idée qui ressort des travaux de l’école darwiniste sur l’hérédité et la sélection est, en dernière analyse, celle de la solidarité; or c’est le fondement même de la fraternité morale. La solidarité fait retomber sans doute le mal des uns sur les autres, mais elle étend aussi le bien de, chacun à tous ou de tous à chacun. Elle oblige par cela même la société à trouver un remède pour tout mal qui afflige l’individu, parce que ce mal tend à devenir social. La solidarité enferme nos sociétés modernes dans cette alternative : progrès ou disparition. Dans les machines perfectionnées dont se sert l’industrie moderne pour filer le lin, le coton ou la laine, dès qu’un seul fil se brise, le métier s’arrête de lui-même, comme si le tout était averti de l’accident arrivé à l’une de ses parties et, avant de l’avoir réparé, ne pouvait continuer son travail. C’est l’image de la solidarité qui régnera de plus en plus dans la société humaine. Au milieu de cette trame sociale où s’entre-croisent toutes les destinées individuelles, il faudrait que pas un fil, pas un individu ne fût brisé sans que le mécanisme général fût averti, atteint, forcé de réparer le mal dans la mesure du possible. C’est l’idéal que poursuit la philanthropie et dont elle se rapprochera d’autant plus qu’elle deviendra plus scientifique dans ses méthodes, sans cesser d’être aussi généreuse dans ses inspirations.


ALFRED FOUILLET.