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défauts que le premier peut-être est de la nature du sujet plus encore que de l’écrivain; et que le second ne procède nullement d’une incapacité de M. Krantz à saisir les liaisons des idées, mais, au contraire, de ce qu’il les voit trop bien, et ne veut pas perdre une occasion de nous montrer qu’il les voit. Cependant, quelles que soient les exigences d’un sujet où la philosophie proprement dite est intéressée pour une part presque aussi large que la littérature, on saurait gré sans doute à M. Krantz de ne pas nous donner des définitions de ce style, que « le romantisme est un dualisme de l’élément réaliste et de l’élément mystique rapprochés violemment et opposés à dessein comme deux contraires irréconciliables dans un système d’antithèses accumulées. » La formule est, à la vérité, très claire, et l’écrivain ici sait parfaitement ce qu’il veut dire : elle n’est pas mise assez complaisamment à la portée de tout le monde. M. Krantz n’y aurait d’ailleurs éprouvé qu’une difficulté médiocre, ayant déjà deux qualités de l’écrivain, et qui sont des plus rares parmi ceux qui écrivent, l’horreur visible de l’expression toute faite et en même temps le goût de la netteté. Les tours originaux sont nombreux dans son livre, et les pensées heureuses, et les pages que l’on appelle brillantes. Même, ce qu’il y a de plus curieux, c’est que la tendance naturelle de ce philosophe, qui parfois s’enveloppera dans une phrase comme celle que nous venons de citer, est incontestablement vers la préciosité. S’il a beaucoup lu Fontenelle, j’entends le Fontenelle des Éloges des Savans et des Entretiens sur la pluralité des mondes, c’est ce que je ne me hasarderai point à vouloir deviner; mais il a quelque chose de sa malice, et quelque chose aussi de son art de déguiser l’ironie du fond sous l’ingéniosité de la forme. L’effet en est assez piquant dans un livre composé, si je ne me trompe, sous l’influence plus ou moins prochaine de deux hommes, dont le premier, M. Taine, a toujours pris si fort au sérieux toutes choses, et le second, M. Paul Albert, laissé transparaître, sous une ironie coutumière, tant d’amertume au fond, et de morosité.

Il n’y a pas utilité d’insister sur les défauts de composition que nous reprochons au livre de M. Krantz. Contentons-nous donc de faire observer que l’auteur a fort inutilement dépensé cinquante pages à l’exposition de ses idées sur la Philosophie de la littérature, lesquelles ne sont autres, au résumé, que les idées si souvent exposées déjà par M. Taine et plus particulièrement dans sa Philosophie de l’art. Il nous est ici parlé de tout un peu, sans raison suffisante ou du moins sans raison nécessaire, — de l’esprit classique, de l’idéal romantique, de l’évolution de la philosophie française vers le criticisme universel, des rapports de la littérature et de l’art avec la philosophie de leur temps, du pessimisme épicurien dans les vers de Lucrèce et de la casuistique stoïcienne dans la prose de Sénèque, de la sculpture grecque et de l’architecture