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gothique. Rien de tout cela, sans doute, n’est absolument étranger au sujet de M. Krantz, mais rien de tout cela n’y était absolument utile, et rien de tout cela ne vaut que comme renseignement sur la manière dont M. Krantz entend l’esthétique. J’aurais donc mieux aimé qu’il laissât son livre parler lui-même. Trop de digressions aussi, trop nombreuses, trop longues, et dont quelques-unes, en outre, ne sont pas précisément à la place qu’elles devraient occuper. Si M. Krantz y fait attention, maintenant que son livre est tout à fait détaché de lui, je ne doute pas qu’il s’aperçoive notamment comme il aurait été mieux inspiré de diviser le chapitre qu’il consacre à l’analyse des lettres de Descartes à Balzac, et d’en reporter les citations, toutes caractéristiques, les unes plus haut, les autres plus bas, et généralement aux endroits où il est obligé de s’y reprendre. Au surplus, nous l’avons dit, ce sont là fautes légères, si légères qu’à peine le lecteur y prendra-t-il garde. La querelle est en effet technique, s’il en fut, et demeure entre M. Krantz et nous: c’est ce qui nous impose l’obligation de ne pas la prolonger plus longtemps.

L’idée du livre, réduite à ce qu’elle a de plus général et de plus simple, est très nette et très hardie.

Tout le monde sait que ni Descartes, ni Spinoza, ni Malebranche n’ont rien écrit sur cette partie de la philosophie que nous avons depuis appelée du nom fort mal fait, mais aujourd’hui consacré, d’Esthétique. Et si Fénelon, dans sa Lettre sur les occupations de l’Académie française, ou Bossuet, dans le Traité de la connaissance de Dieu, dans quelques-uns de ses Sermons, dans ses Élévations sur les mystères, ont abordé de biais quelques-unes des questions que soulève la philosophie de l’art et de la littérature, c’est incidemment, comme nul ne l’ignore, par circonstance et par occasion, nulle part ni jamais dans une intention ou sous une forme didactique. L’esthétique de Descartes, en tant que doctrine énoncée par le maître ou développée par ses disciples, n’existe donc pas. Mais toute métaphysique, de même qu’elle implique une morale, enveloppe une esthétique : toute définition ou notion de l’être contient en soi quelque notion ou définition du beau. Ne pouvons-nous pas nous proposer de l’en déduire? Si certains principes sont une fois posés, ne nous est-il pas toujours loisible d’en poursuivre les conséquences ? Descartes a découvert, ou démontré, ou supposé, comme on voudra le prendre, que la présence de tel ou tel caractère dans les choses en déterminait la vérité. Malebranche, Spinoza, tel autre encore de leurs disciples ou de leurs imitateurs ont recherché s’il y avait dans les actes humains un caractère qui en constituerait la bonté. N’avons-nous pas le droit d’examiner à notre tour s’il n’y aurait pas dans les êtres, et jusque dans les œuvres, un caractère aussi, d’où les œuvres et les êtres tireraient ce que l’on appelle communément leur beauté ?