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déchirement. Il y avait désormais deux camps en présence : dans l’un étaient le gouvernement, l’assemblée, représentant la France, la loi, les dernières garanties de l’indépendance nationale et de la civilisation; dans l’autre camp, ce n’était, il est vrai, qu’une faction sinistre et vulgaire sous le nom de commune, mais une faction maîtresse de la plus grande des places fortes, disposant des défenses accumulées contre l’étranger, des ressources de Paris, prête à toutes les extrémités, à l’incendie et aux massacres. La rupture était déclarée, de telle sorte qu’à peine échappé à la guerre étrangère, M. Thiers avait à tenir tête à la guerre civile. Réfugié à Versailles, au camp de la France, M. Thiers se trouvait un moment dans la position d’un homme, d’un chef d’état obligé de faire face de tous côtés au milieu d’une immense confusion. Il avait tout à la fois à poursuivre avec l’Allemagne les négociations qui devaient transformer les préliminaires du 26 février en paix définitive et à se créer les moyens de reconquérir Paris, fût-ce par un nouveau siège, au nom de la France, à déployer la virilité d’un gouvernement devant l’Europe attentive et émue.

Le malheur du temps voulait que la France épuisât jusqu’au bout les amertumes, qu’elle connût, après l’injure de l’invasion et du démembrement, le crime de la guerre intestine fomentée devant l’ennemi. Cette journée du 18 mars, qui enfantait la commune, était en effet le plus grand des crimes contre la patrie, — un de ces crimes qu’aucune amnistie n’efface, — avec cette aggravation que les criminels faisaient le mal pour le mal, pour une domination meurtrière qu’ils ne pouvaient pas même se flatter de prolonger au-delà de quelques jours ou de quelques semaines, quoi qu’il arrivât. Si l’insurrection avait réussi contre la France, il n’y avait aucun doute possible : les Allemands, campés à Saint-Denis, maîtres de quelques-uns des principaux forts, auraient fait ce que nous ne pouvions pas faire. Ils se seraient chargés de réduire la ville rebelle à merci; ils rouvraient immédiatement la guerre avec les cinq cent mille hommes dont ils disposaient, et c’est la nation entière qui aurait expié l’attentat parisien par de plus dures rançons de servitude, qui serait restée peut-être irréparablement atteinte. La première conséquence de cette fatale insurrection, dans tous les cas, devait être d’ajouter aux misères publiques de nouvelles misères, d’imposer au gouvernement du pays de cruelles difficultés. M. Thiers, quant à lui, sans douter du succès, connaissait mieux que tout autre ces difficultés. A peine établi à Versailles avec quelques troupes démoralisées et des débris d’administration, il se mettait à l’œuvre avec cette vive et impétueuse activité qu’il appliquait à tout, il avait à couvrir l’assemblée, à refaire une armée d’opérations, à réunir toutes les ressources nécessaires pour une action