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blanchis et garnis, dans le bas, de carreaux émaillés, sont très simples, il y a seulement, au-dessus des portes, des lambrequins de damas rouge, qui sont le principal ornement des salles. Ou nous fait asseoir dans la deuxième pièce sur un sofa, entre deux fenêtres, parmi beaucoup de dames juives qui portent le costume national. Elles sont dans leurs plus riches toilettes, avec des fourreaux d’or et d’argent pour leurs jambes, de courtes chemisettes en soie rose, bleu tendre ou blanche, de gros bijoux, des rosaces de diamans sur la poitrine, de lourds pendans d’oreilles attachés quelquefois par un fil passé autour de l’oreille; leur pied, fort petit, est posé dans des pantoufles vernies qu’on fait trop courtes par coquetterie et qui laissent tout le talon en dehors ; ce qui rend pénible la démarche de ces personnes, presque toutes d’un grand embonpoint. Les doigts sont teints de henné, les sourcils aussi; on les élargit même au moyen de cette teinture et on les réunit au-dessus du nez en forme d’accent circonflexe renversé. Au-dessus de cette bande, sur le front, il y a un petit tatouage de points bleus arrangés avec symétrie; il y en a d’autres en avant de l’oreille, en dessous des cheveux. Le reste du visage est blanchi de poudre.

A part les sofas, il n’y a d’autre meuble qu’une commode à l’européenne avec deux flambeaux et une pendule dorée, protégés chacun par un globe contre l’humidité et la poussière. Le bey a de même, sur les deux secrétaires du salon où il vous reçoit à Kasr-Saïd, des pendules et des fleurs en papier sous des globes, et beaucoup de ses grands dignitaires ont aussi dans leurs bureaux du Bardo des fleurs en papier, jaunies sous le verre qui devait les protéger.

Dans cette maison, aucune cérémonie du mariage n’a lieu; on fait seulement de la musique, on est ensemble, on se réjouit. Avec une bonté et un empressement singuliers, l’hôte et ses filles veillent à ce que chacun trouve place, soit bien installé, soit content;, il vient à nous et nous demande si nous voulons entendre de la musique chrétienne, et son attention nous paraît touchante, mais nous préférons les airs indigènes; sur un banc, couvert d’un tapis, à côté de la commode, quatre musiciens arabes sont accroupis : ils ont un violon, une sorte de tambourin, une guitare longue, polie, sculptée, superbe, une darbouka qui est comme une urne sans anses, en terre grise et non vernie, dont le fond est remplacé par une membrane sur laquelle on frappe avec la main. L’homme à la guitare est au milieu; il est jeune, il joue avec autorité; c’est un artiste fameux; tous quatre font une musique étrange, nerveuse et vibrante dont le bourdonnement vous résonne aux tempes; ils chantent en même temps et le son de leurs voix se fond et disparaît dans celui de leurs instrumens. Ils chantent des chants d’amour célèbres qui plaisent beaucoup dans ce pays, mais qui diffèrent