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enjambement pour dix vers réguliers ; dans les dernières, il y en a en moyenne un sur trois. Changement analogue dans la structure du vers isolé : le vers rythmé se compose régulièrement de dix syllabes en cinq ïambes, le vers s’arrêtant régulièrement à l’accent final ; mais le vers gagnera en liberté et en variété par l’addition d’une syllabe atone qui ne change pas sa structure, puisque le nombre des accens reste le même, mais en modifie l’harmonie et le rythme. Les premières pièces de Shakspeare n’offrent presque pas d’exemple de ces terminaisons doubles ; elles deviennent plus fréquentes à mesure qu’on avance, et dans les dernières pièces sont à profusion. Ces découvertes de la critique moderne devaient naturellement enlever beaucoup de leur intérêt aux essais du passé. Les tentatives du romantisme ne répondent sans doute plus à l’esprit de notre temps ; mais ce qui nous semble bien autrement vieilli et démodé que les traductions des Alfred de Vigny, des Emile Deschamps, des Dumas père, des Léon de Wailly et des Auguste Barbier, c’est ce genre de fantaisies au clair de lune que l’on s’amuse à nous donner aujourd’hui sous couleur de pénétrations. Passe encore pour l’impressionnisme quand il s’agit de reproduire un paysage ; mais pénétration, que signifie ce mot, s’il ne veut dire que l’on est entré à fond dans le texte du maître, qu’on l’a étudié, creusé, fouillé, en un mot, qu’on l’a pénétré comme a fait M. James Darmesteter, ce jeune shakspearien de l’avenir, et vous nous laissez entendre, vous, que vous ne savez pas même l’anglais, comme si c’était un avantage à réclamer si bruyamment dans une œuvre de pénétration, — puisque pénétration il y a, — que d’ignorer jusqu’à la langue du poète ! L’honnête Barbier avait ses périphrases, mais si modestes, si humbles, tandis que les vôtres, panache en tête, plus fières que Bragance,


Drapent leur gueuserie avec leur arrogance,


et, quant au sens, il compulsait toutes les traductions connues, interrogeait « les personnes compétentes ; » puis, lorsqu’il se croyait armé de toutes pièces pour la lutte, il adressait à son lecteur des excuses presque touchantes : « Il en est d’un auteur qu’on traduit comme de la vertu, on peut toujours s’en approcher de plus en plus sans jamais parvenir à l’embrasser entièrement ; heureux celui qui dans ses efforts ne reste pas trop loin ! Si, lorsqu’on s’occupe d’un poète, la prose rend mieux la lettre de son œuvre, le vers peut-être en donne mieux l’esprit ; chacun, au reste, agit avec son instrument. Il est bien difficile à qui fait des vers de traduire un poète autrement qu’en vers. » Le savant éditeur du texte classique de Macbeth, M. Darmesteter, se prononce contre les traductions en