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militaire de l’Europe. On y voyait une sauvegarde pour le présent et un gage pour l’avenir, si bien que, durant quelques mois, l’Allemagne et l’Attila de Pie IX apparurent au palais apostolique comme les champions providentiels du saint-siège, comme les futurs restaurateurs de son indépendance temporelle.


IV

On a eu beau s’en exagérer la portée, le rétablissement de la légation dont M. d’Arnim avait été le dernier titulaire, était par lui-même une victoire de Rome ; mais ce premier avantage, précaire de sa nature, n’a pas eu tous les résultats qu’on paraissait en pouvoir attendre. Les négociations officielles entre la curie et Berlin n’ont pas marché plus vite que les négociations officieuses. Tour à tour suspendues et reprises, changeant de face à chaque saison et plusieurs fois sur le point d’être rompues, elles offrent depuis trois ans Les plus singulières alternatives, et peuvent, avant d’aboutir, passer par bien des phases encore. Quoique secondé par les sentimens personnels du vieil empereur Guillaume et par les embarras intérieurs de M. de Bismarck, Léon XIII n’a pu signer la paix avec le restaurateur de l’empire germanique ; il n’a obtenu qu’une trêve, et malgré les penchans pacifiques des négociateurs, les hostilités peuvent un jour ou l’autre reprendre ouvertement. L’accord de Rome et de Berlin reste à la merci des brusques combinaisons du ministre le moins scrupuleux sur les moyens et le moins jaloux de se montrer d’accord avec lui-même.

On paraît au Vatican ne pas s’être toujours fait une idée fort juste du caractère et des vues du redoutable ermite de Varzin. Jugeant d’autrui par eux-mêmes, Léon XIII et ses conseillers semblent avoir prêté à ce politique réaliste par excellence de grands rêves d’avenir, de vastes conceptions idéales. On cherchait à se persuader qu’en face des périls dont la révolution menace les trônes et les dynasties, le grand chancelier emploierait ses dernières années à raffermir la société ébranlée et à consolider les influences traditionnelles, que voyant dans la religion la principale digue contre les débordemens du flot démocratique, il travaillerait de ses mains à relever l’église en Allemagne et en Europe. De ce dominateur autoritaire, qui s’était tant de fois compromis avec la révolution, on espérait une politique de réparation et de restauration, systématiquement conservatrice dans le grand sens du mot. C’était là une illusion analogue au songe opposé des patriotes de l’Allemagne du Nord qui, liant le germanisme et le protestantisme, voulaient, en 1872, voir dans le Richelieu prussien un champion de la réforme, un continuateur de Luther destiné à émanciper à la fois l’Allemagne du joug de la Rome papale