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d’obtenir d’un traité de paix les avantages indirects qu’on s’en était promis.

L’Europe connaît les procédés diplomatiques de M. de Bismarck ; ils se résument dans le Do ut des ou mieux dans le Da ut dem. Pour lui, la politique est un véritable trafic et la diplomatie un marchandage ; avec lui des négociations sont une sorte de négoce. Outre que ces habitudes mercantiles et ce principe de donnant donnant sont d’une application difficile dans les affaires religieuses, avec une église souvent liée par ses traditions, le Vatican n’était pas maître de conclure avec « l’honnête courtier » de Berlin tous les marchés qu’en attendait ce dernier.

Si le prince de Bismarck se résignait à rapporter plus ou moins complètement les lois de mai, c’était moins pour mettre fin au Culturkampf que dans l’intérêt de ses projets économiques et de sa nouvelle politique protectionniste, que pour gagner les voix catholiques à son récent socialisme d’état et aux nouveaux impôts, destinés à rendre les finances du jeune empire indépendantes des subventions de ses divers membres et des « contributions matriculaires. » Dans un des plateaux de la balance qui sert à son trafic politique, il avait mis sa réforme favorite, le monopole du tabac ; dans l’autre les libertés de l’église catholique, et, après les avoir bien pesés, il prétendait troquer l’un contre l’autre l’émancipation des lois de mai et l’odieux monopole. La curie romaine n’a aucune raison spéciale de s’intéresser aux fumeurs d’outre-Rhin ; elle eût été maîtresse que le marché eût pu être conclu ; mais pour qu’il fût valable, il avait besoin d’être ratifié par les catholiques allemands, et ces derniers avaient contre cette ingénieuse convention des objections dont l’autorité de la cour romaine ne pouvait guère triompher.

Contradiction des choses humaines ! le grand grief du gouvernement prussien, le grand grief de M. de Bismarck comme de M. Gladstone et de beaucoup d’hommes d’état contre la papauté et l’infaillibilité papale, c’est qu’après le dogme proclamé en 1870, le pontife romain est plus que jamais l’arbitre suprême des consciences catholiques, ainsi asservies à un souverain étranger. Or, par une volte-face bien caractéristique de l’homme et de la politique, le grand-chancelier s’est tout d’un coup imaginé d’utiliser à son profit cette autocratie spirituelle dont il avait si longtemps dénoncé les dangers[1]. Le jour où il a cru ne pouvoir mener à bonne fin ses projets sans une réconciliation avec le centre catholique, M. de Bismarck a été frapper directement à la porte du Vatican, se flattant d’en obtenir

  1. Il est à noter que M. Gladstone, oubliant son livre du Vaticanisme, a lui aussi essaye sous main de s’assurer l’influence pontificale dans les affaires d’Irlande où le bas clergé et une notable partie de l’épiscopat encourageaient les revendications de la Landleague. Tel a été le but de la mission Errington.