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de meilleures conditions que du centre parlementaire, espérant en finir plus vite et payer moins cher à Rome qu’à Berlin. C’est pour cela qu’il a commencé par rétablir l’ambassade auprès du saint-siège. Avec son aversion pour les chambres et son dédain des prérogatives parlementaires, au lieu de régler la question des lois de mai comme une affaire d’ordre intérieur dans l’enceinte législative ou de négocier avec ses adversaires politiques, il a préféré passer par-dessus leur tête et par-dessus le Landtag pour traiter de cabinet à cabinet, entre l’empereur-roi et le pape, ou mieux entre la Wilhemstrasse et la cour de Saint-Damas.

De cette façon, après s’être tant de fois plaint des empiétemens de la curie, après avoir lutté durant des années pour soustraire l’Allemagne à l’ingérence pontificale, il a lui-même fait appel à Rome et convié indirectement le saint-siège à s’immiscer dans les affaires intérieures de l’Allemagne en agissant sur le centre, en pesant au besoin sur les catholiques, pour les amener à se soumettre aux vœux du cabinet de Berlin. Lorsqu’il a recouru à ce procédé inattendu, le chancelier ne s’est pas demandé s’il n’allait point s’infliger un démenti, s’il ne risquait pas de donner un pernicieux exemple, si c’était à lui d’enseigner aux catholiques allemands à prendre leur mot d’ordre à Rome. Selon son habitude, il n’a envisagé que le profit immédiat et le gain du jour, comptant bien, une fois l’affaire conclue, empêcher les sujets des Hohenzollern de trop souvent s’adresser à une autorité dont il a voulu lui-même leur imposer le joug.

Pourquoi cette combinaison, en apparence si simple, n’a-t-elle pas réussi et semble-t-elle ne devoir jamais donner au chancelier tout ce qu’il en avait d’abord espéré ? Cela tient avant tout à ce que nous disions plus haut, à ce que, si omnipotent qu’il paraisse, le saint-siège ne peut toujours disposer à son gré des voix catholiques des divers pays, ni faire manœuvrer au commandement les partis nationaux rangés sous les bannières de l’église. Comme on le prévoyait ici même, dès le début de ces longues négociations, M. de Bismarck se trompait en se figurant qu’il suffisait que le saint-père ordonnât à M. Windthorst de devenir ministériel pour que M. Windthorst s’exécutât[1]. Le centre ultramontain, de même que tout parti constitué, a ses vues et ses intérêts propres, ses engagemens et ses alliances, et, si désireux qu’il soit de la paix religieuse, si respectueux qu’il se montre de la chaire apostolique, il ne peut tout leur sacrifier ; il ne peut surtout leur immoler ce qui, sur le sol natal, fait sa force et sa popularité.

De même que la droite catholique en Belgique, le « centre » est

  1. Voyez l’article de G. Valbert dans la Revue du 1er février 1879.