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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/411

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Ce despotisme de la raison a laissé un témoignage remarquable dans le programme naval que l’Italie a accepté en 1873 et que l’on considère trop volontiers comme un excès d’orgueil national. Le but avait été ainsi nettement défini : « défendre la frontière maritime du royaume. » Les deux moyens furent étudiés : « Ou défense localisée sur les points les plus faibles, les plus accessibles et à des titres divers les plus importans de nos côtes, au moyen d’une, marine de construction spéciale et de dimensions moindres que celle destinée à naviguer et à combattre en haute mer, renonçant ainsi par avance à la possibilité de porter la lutte au large et se contentant d’assurer strictement la défense dans la mer territoriale ; ou défense mobile au large et en haute mer avec des navires de guerre proprement dits et aptes à former des escadres et des armées navales. » La conclusion n’était pas moins nette : la défense locale était déclarée « absolument insuffisante sous le rapport militaire et sous le rapport financier, » et la défense générale « seule raisonnable, économique et efficace[1]. » C’est ainsi qu’un pays résolu à trouver le meilleur instrument pour protéger sa frontière a été conduit à construire les plus grands navires qui, à l’heure présente, naviguent en haute mer.

Si le sacrifice qu’exige l’entretien d’une flotte est trop lourd à une nation, qu’elle n’essaie pas de se tromper elle-même. La marine ne vit pas à demi. D’efforts incomplets il ne peut sortir qu’un simulacre où tout sera mensonge, sauf la dépense et la faiblesse. Chaque peuple a devant lui le dilemme que Portai posa un jour à la France : ou sacrifier largement ses ressources pour garder sa puissance navale, ou sacrifier sa puissance pour garder ses ressources. Renoncer à défendre par mer l’intégrité de son territoire n’est d’ailleurs pas abdiquer l’indépendance. Contre les attaques navales la protection du sol peut être assurée sur le sol lui-même et des sommes y suffisent qui, partagées entre la mer et la terre, auraient préparé sur un double élément un double théâtre aux revers. Unique rempart des peuples sans marine, la défense terrestre s’impose même à ceux qui possèdent des flottes comme l’achèvement de leur œuvre ; elle est aux forces navales ce qu’est le corps de place aux ouvrages avancés.


II

Ce ferait une grande ignorance que de réduire à des formules mathématiques sur la portée des projectiles et la résistance des fortifications le problème de l’attaque et de la protection des places. La

  1. Projet de loi organique sur le matériel de la marine royale, présenté par les ministres de la marine Bon et des finances Depretis, 2 février 1877.