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développerait. La vie privée, l’industrie ont besoin du gaz ; il joue aussi son rôle dans les réjouissances. Sans guirlandes et sans girandoles de becs de gaz, l’enthousiasme du peuple n’eût été vraiment sincère ni le lu juillet ni le 15 août. L’enthousiasme arrive généralement à son comble quand, au lieu de brûler le gaz, on l’emploie à gonfler un ballon. En ce cas, ainsi que M. Marsoulan l’a fait remarquer au conseil municipal, la compagnie augmente ses prise. Sous tous les régimes, le gaz a embelli les réceptions de MM. les ministres : des rampes et des chiffres flamboyans éblouissent le passant et illuminent le front de l’invité. La nuit de Noël et la nuit anniversaire de la prise de la Bastille, Paris double sa consommation. La compagnie prépare des réserves pour ces deux nuits, et les actionnaires célèbrent également ces deux solennités. Alors, si le ciel est clair, la lueur d’incendie qui s’élève au-dessus de Paris se voit de quinze lieues à la ronde. Les gazomètres se vident : ces cloches énormes descendent lentement dans leurs bassins remplis d’eau, pesant de tout leur poids sur le gaz qu’elles enferment et qu’elles refoulent dans les conduites. Le torrent combustible se répand sous la ville et se brise en innombrables ramifications. Il apporte dans chaque maison, et au besoin dans chaque chambre, la lumière, la chaleur ou la force.

Mais ces bienfaits coûtent trop cher. Nous consommons en moyenne de 600,000 à 700,000 mètres cubes par jour. C’est beaucoup ; ce serait assez pour entreprendre l’éclairage du tour du monde avec deux becs de gaz placés tous les 100 mètres et brûlant dix heures sur vingt-quatre. C’est six fois plus qu’on ne consommait en 1855, et ce n’est que la moitié, toute proportion, gardée, de ce qu’on brûle à Londres. Nous consommons à peine 115 mètres cubes par habitant et par an ; l’habitant de Londres consomme plus de 200 mètres cubes. Je sais bien que les brouillards de la Tamise l’obligent souvent à allumer en plein jour, et qu’il a plus grand besoin que nous d’éclairage artificiel ; mais il paie 14 centimes ce que nous payons 30 centimes, et le bon marché l’engage à ne point se priver.

Décidés à obtenir un abaissement de prix devenu nécessaire, les consommateurs parisiens se sont plaints d’abord aux fabricans, puis au conseil municipal. La compagnie a été vivement attaquée dans la presse. On se souvient des articles de mon honorable collègue M. Hervé, dans le Soleil ; c’étaient de savans et vraiment irréfutables plaidoyers en faveur des abonnés. Les fabricans du gaz parisien ne manquèrent pas de répondre ; leurs comptes prouvent qu’ils n’ont pas ménagé les frais de publicité. Ils avaient deux bonnes raisons de se défendre, même un peu chèrement : la première, c’est qu’ils sont très riches, et la seconde, c’est que les attaques les avaient profondément mortifiés.