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que quand on a cessé de croire. Qu’importe que des limites soient fixées à la liberté des recherches si l’on ne tient pas à les franchir ? Entre ces barrières, qu’on n’avait aucun désir de renverser, l’esprit trouvait le moyen de se mettre à l’aise. « On s’accordait généralement à reconnaître un certain nombre de points indéterminés sur lesquels on pouvait soutenir des assertions divergentes sans danger pour la foi et pour les mœurs. Prétendre enchaîner les hommes par autorité à telle ou telle décision en cette matière, c’était, disait-on, mettre obstacle au progrès des études et à la découverte de la vérité qu’une libre discussion pouvait seule mettre au jour. La méthode d’enseignement usitée dans la faculté de théologie était très favorable à la pratique de ces principes. Cette règle de ne décider qu’après avoir posé le pour et le contre, l’obligation de tenir compte de toutes les objections, donnaient à l’esprit des habitudes de liberté. On mettait de l’amour-propre à ne pas faire usage de l’autorité de l’Écriture et à n’employer que le pur raisonnement. C’était une preuve d’esprit et de finesse… Certainement, la faculté de théologie jouissait au moyen âge d’une liberté incontestablement plus grande qu’au XVIIe siècle. Au moyen âge, elle se gouvernait avec une absolue indépendance ; elle n’était pas assujettie à cette exacte discipline qu’impose la présence de l’ennemi. Au XVIIe siècle, les théologiens avaient pris l’habitude d’invoquer l’intervention du pouvoir civil pour imposer silence à leurs adversaires ; d’un autre côté, la nécessité d’une étroite union, en présence du protestantisme, diminuait le nombre des questions librement discutables[1]. » On ne peut donc pas dire que cette liberté de discussion et d’examen, nécessaire à la culture de l’esprit, ait tout à fait manqué aux vieilles universités. La renaissance la rendit plus grande sans doute et les écoles en profitèrent. Mais, quoique l’avantage fût très précieux, ce n’est pas encore ce qui a pu changer alors le caractère de l’enseignement.

Il fut tout à fait modifié par une simple réforme scolaire, ou, comme on dirait aujourd’hui, par un changement dans le plan d’études. Nous allons voir que ces sortes de réformes, dont on ne saisit pas toujours l’importance, et qu’on décrète quelquefois à la légère, peuvent avoir sur l’avenir même des états les conséquences

  1. J’emprunte ces quelques lignes au petit écrit de M. Ch. Thurot intitulé : de l’Organisation de l’enseignement dans l’Université de Paris au moyen âge. Ce fut le premier ouvrage de M. Thurot, et ce début contient déjà ses meilleures qualités. On y trouve une plume élégante, une science solide et sans forfanterie, un esprit sensé qui domine son érudition et ne se laisse pas mener par elle. En deux cents pages, il a trouvé moyen de nous donner le tableau le plus complet et le plus exact de notre vieille université. Je ferai dans la suite de ce travail de nombreux emprunts à cet excellent ouvrage. M. Thurot, comme M. J. Quicherat, que je citais tout à l’heure, est mort cette année.