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attendre encore un dénoûment que l’Angleterre et la France sont également intéressées à poursuivre dans un esprit de transaction. D’un autre côté, le successeur du prince Gortchakof dans la direction des affaires étrangères de Russie, M. de Giers, vient de prendre un congé pour rejoindre pendant quelques semaines sa famille à Pise. Il est passé en Allemagne ; il a visité le chancelier dans sa solitude de Varzin et il a été reçu par l’empereur Guillaume à Berlin. Une fois à Pise, il doit aller à Rome et, à son retour d’Italie, il doit aussi, dit-on, passer par Vienne pour voir le comte Kalnoky, l’empereur François-Joseph. Quelle peut bien être la portée de ce voyage et de ces visites à toutes les cours ? M. de Giers ne serait-il pas allé par hasard sonder le chancelier allemand en vue de quelque conflit possible en Orient ou demander la revision du traité de Berlin à propos des affaires d’Egypte, ou préparer quelque autre coup de théâtre politique ? Les commentaires n’ont pas manqué. Qu’en est-il de tout cela ? Il est infiniment probable que M. de Giers n’a pas fait son voyage uniquement par une raison de famille et qu’il n’est pas allé non plus nouer de vastes combinaisons propres à renouveler la face de l’Europe. Il est beaucoup plus vraisemblable que le ministre du tsar n’est passé à Berlin et ne passera à Vienne qu’avec la mission toute simple, assez générale, de dissiper des ombrages, d’effacer la trace de vieux dissentimens, de rétablir de meilleurs rapports, quelques habitudes de cordialité entre la Russie et les deux empires alliés, l’Allemagne et l’Autriche. À considérer la situation présente, le voyage de M. de Giers ne peut avoir le caractère qu’on lui prête et modifier sensiblement l’état des rapports diplomatiques. L’Europe n’a donc point à se laisser émouvoir outre mesure par les commentaires de fantaisie qui ont couru le continent ; ce n’est pas encore cela qui peut la menacer.

En attendant que ces questions d’un ordre général soient résolues ou éclaircies pour l’opinion européenne, les parlemens se réunissent dans les pays où ils n’étaient pas encore rassemblés. De même que les élections se sont faites à peu près simultanément en Allemagne et en Italie, la réunion des chambres a également coïncidé à Berlin et à Rome. À Berlin, l’empereur Guillaume a tenu à inaugurer lui-même le nouveau Landtag. Le vieux souverain a paru entouré de sa cour, de sa famille. M. de Bismarck n’était présent que par la pensée, parce que le discours impérial n’est visiblement que l’expression de la politique du chancelier. À vrai dire, ce discours a un premier mérite, celui d’assurer que les relations de l’Allemagne avec les autres puissances sont de nature à laisser espérer la continuation de la paix. C’est déjà beaucoup. Quant aux affaires intérieures, l’empereur Guillaume s’étend un peu longuement sur les finances, et il n’en donne pas de trop bonnes nouvelles puisqu’il avoue la nécessité de recourir au crédit, à un em-