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susceptibles d’être déférées à la sanction directe de la nation. Il suffit que l’appel au peuple soit réclamé dans un délai déterminé par 30,000 électeurs ou par huit cantons de la fédération. C’est précisément ce qui vient d’arriver dans des conditions significatives où une menace de prépotence abusive du radicalisme qui est depuis longtemps au pouvoir a rencontré la résistance décidée du sentiment populaire, de l’esprit cantonal qui s’est manifesté avec éclat. De quoi s’agissait-il donc ? Au premier aspect, la question semblait bien peu importante, puisqu’elle se réduisait à savoir s’il y aurait un simple fonctionnaire fédéral de plus aux modestes appointemens de 6,000 francs ; au fond, sous une apparence presque insignifiante, elle touchait à un sentiment toujours vif en Suisse. La constitution helvétique, telle qu’elle existe depuis la révision de 1874, a établi en principe l’obligation et la gratuité de l’enseignement primaire en même temps qu’elle a consacré la neutralité religieuse des écoles. D’après l’article constitutionnel, le gouvernement de la confédération est autorisé à prendre les mesures nécessaires pour veiller à l’application du principe, et d’un autre côté les cantons restent chargés de tout ce qui intéresse l’organisation et le développement de l’enseignement primaire. Ce sont les deux droits toujours en présence en Suisse. Que s’est-il passé réellement ? Quelques-uns des cantons, dans le sentiment de leur souveraineté, ont-ils interprété et appliqué le principe constitutionnel à leur manière, selon leurs idées et selon leurs mœurs, en adoucissant quelques-unes des prescriptions obligatoires ou en maintenant un élément religieux dans les écoles ? Toujours est-il que les radicaux qui règnent dans les conseils de la confédération n’ont pas tardé à vouloir interpréter à leur tour la constitution pour ressaisir et centraliser la direction de l’enseignement. Le chef du département de l’intérieur, M. Schenk, n’a pas caché son intention de proposer des lois nouvelles leur assurer plus strictement l’obligation et pour bannir définitivement tout élément confessionnel des écoles. Mais avant tout, par un arrêté qui date de quelques mois, du ik juin de cette année, l’assemblée fédérale a voulu procéder à une enquête « au sujet de la situation des écoles dans les cantons, » et elle a adjoint au département de l’intérieur chargé de ce service un nouveau fonctionnaire, un secrétaire, une sorte de directeur de l’instruction publique de la confédération. C’est là précisément que la question s’est envenimée et a pris une gravité singulière.

Cette création d’un secrétaire ou ministre de l’instruction publique, en effet, est apparue aussitôt comme une tentative usurpatrice de l’esprit de centralisation, et elle a rencontré une opposition ardente non-seulement parmi ceux qui veulent garder la liberté de maintenir un certain caractère religieux dans l’enseignement, mais encore parmi les partisans de l’autonomie cantonale. L’agitation n’a fait que grandir en se propageant dans toute la Suisse, et bientôt le recours au plébiscite