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de fer, et demain peut-être, en expropriant les grandes compagnies pour exploiter à leur place, il arrêtera par la cherté et l’indolence des transporte la circulation de nos produits. La loi fondamentale, la constitution elle-même, obtenue avec tant de peine, pratiquées peu de temps, les origines de la chambre, l’existence du sénat, tout est déjà contesté, attaqué par les pouvoirs publics, comme dans ces accès où les malades, non contens de menacer autour d’eux, tournent leur fureur contre eux-mêmes. Il est naturel que cette haine contre l’ordre établi s’adresse surtout aux pouvoirs qui l’ont fondé ou le maintiennent. La magistrature qui le protège dans l’état est traitée comme une ennemie du bien public. La haine monte encore plus haut, jusqu’à cette autorité qui maintient l’ordre dans les âmes, et l’œuvre véritable du gouvernement est la guerre contre Dieu. Tout d’abord, il a paru combattre une église seule, et dans cette église une adversaire politique, mais bientôt il s’est lassé de feindre : sous le nom de superstition et de fanatisme, c’est la religion, toute religion, toute croyance extérieure à ce monde, qu’il entend détruire. Il veut affranchir l’humanité du surnaturel. C’est à ce but supérieur qu’il marche sans compter les victimes, qu’il sacrifie avec les moines, les prêtres et les croyans, le peuple même. Là se trahit, sous les déclamations, la sécheresse d’une philanthropie qui ne se soucie même pas d’être humaine, et le caractère véritable du parti. Ce n’est pas seulement une nuée de politiciens avides et de révolutionnaires haineux, c’est quelque chose de plus dangereux et de plus insatiable : une secte résolue à imposer à un pays, par la persuasion de la force, sa foi dans le néant.

Si ces grandes condamnées vivent encore, c’est grâce à l’inexpérience des exécuteurs. Pour vouer à la mort des institutions partout ailleurs nécessaires, il faut, semble-t-il, des politiques bien sûrs de leur génie. Est-ce le génie qui prépare des temps nouveaux ? est-ce du moins le talent qui fait la France complice de ses projets ? est-ce un fanatisme austère qui là subjugue et rêve la réforme du monde ? Qu’on regarde les hommes ; capables de méditer tant de mal, on pourrait les croire grands, et il n’y a de grand en eux que le mal qu’ils méditent. Le régime parlementaire en ce siècle a compté plus d’une gloire et laissé plus d’une trace durable. On a peine à nommer ses héritiers, on ne peut citer d’eux une loi qui mérite de vivre, et nul ne saurait comment remplacer ce qu’il s’efforce de détruire. Sans intelligence de la vérité, sans désintéressement dans sa recherche, sans fermeté même dans l’erreur, voilà ces juges qui condamnent les siècles : l’heure présente ne les connaît même pas, et il faut percer leur obscurité pour apprendre qu’elle ne cache rien. Une assemblée donne sa mesure par ses ministres. Il y a six ans, les chefs s’appelaient Thiers, Rémusat, Dufaure, Jules Simon.