Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/705

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

promenade avec cet orageux baron, des efforts qu’il avait dû faire pour calmer ses emportemens qui attiraient l’attention des passans. « En laissant de côté les exagérations oratoires qui sont propres à M. de Prokesch, ajoutait-il, ce qu’il m’a dit était de nature à me faire croire que l’opinion de la Prusse touchant la question des forteresses fédérales avait à ses yeux aussi peu d’importance qu’une immixtion du vladika de Montenegro dans les affaires intérieures de l’Autriche. Pour ne pas me laisser gagner par son échauffement, je détournai l’entretien, sur quoi il déposa aussitôt son cothurne et se livra à des effusions de cordiale intimité. »

Frédéric-Guillaume IV s’attendrissait facilement, il aimait à parler de son cœur et il se faisait une idée exagérée du rôle que joue le sentiment dans les affaires humaines. Aussi désirait-il que son plénipotentiaire s’efforçât de lui regagner les bonnes grâces de l’Autriche, de rétablir entre les deux couronnes la bonne entente d’autrefois. On avait recommandé à M. de Bismarck de mettre beaucoup d’huile dans les rouages, de faire de la politique aimable ; c’était lui demander de forcer son naturel. Dès les premiers temps, il s’appliqua à persuader à son gouvernement que la politique aimable n’était plus de saison, qu’une entente était impossible, que dans certains cas le vinaigre vaut mieux que l’huile, que le principal de voir d’un plénipotentiaire prussien était de ne rien laisser passer, d’être toujours à cheval sur son droit, de chipoter beaucoup, dût-il s’acquérir la réputation d’un esprit revêche, brouillon et tracassier. « Peut-on exiger que, dans ma situation, écrivait-il le 28 février 1855, j’aie une bienveillance particulière pour la politique de l’Autriche ? Il est plus agréable pour tout le monde de faire son service en paix ; mais c’est le cabinet de Vienne qui m’impose malgré moi le devoir de surveiller et de traverser sans cesse ses tentatives avouées ou secrètes d’usurpation. Quand j’arrivai ici il y a quatre ans, Je n’étais certes pas un ennemi de l’Autriche ; mais, gouvernée comme elle l’est, je n’aurais pu devenir son ami sans renier jusqu’à la dernière goutte de mon sang prussien. » Après cela, il confessait que, dans plus d’une occurrence il avait manqué de réserve et de calme ; mais il n’en éprouvait que de faibles remords. Il s’aimait avec ses défauts, qu’il considérait comme des défauts utiles.

Cet apprenti n’avait pas tardé à reconnaître que la politique aimable n’était pas plus de mise avec les petits et moyens états de l’Allemagne qu’avec l’Autriche et qu’on arriverait difficilement par des voies de douceur à rompre le réseau, die Umgarnung, dont elle les enveloppait. Il jugeait sévèrement ses collègues de la diète, les trouvait à la fois médiocres et peu sûrs, se plaignait de leur politique louche et louvoyante, de leurs perpétuels biaisemens. Lorsqu’il fut question, en 1854, d’envoyer un délégué de la confédération aux conférences de Vienne, il s’y opposa nettement. « Sans parler, disait-il, des jalousies