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temps presse, car les concurrens sont nombreux et eux aussi sont animés de la plus vive ardeur. Ils nous surveillent, ils nous jalousent, ils cherchent à nous distancer. Par bonheur, notre avance est grande. Il dépend de nous de ne pas nous laisser évincer par des rivaux plus habiles, et de nous créer, soit en Asie, soit en Afrique, un empire colonial non moins beau que celui dont nous étions les maîtres au commencement du XVIIIe siècle, et que nous avons si tristement laissé périr.

Mais il ne faudrait pas se faire d’illusion sur les difficultés de l’œuvre à accomplir. Pour conquérir le Congo, pour s’emparer du Tonkin, pour relever notre prestige à Madagascar, pour créer ou pour restaurer partout la puissance française, il ne suffit pas de tracer un brillant programme de colonisation et de voter quelques millions en vue de le réaliser. L’emploi habile et soutenu de toutes nos forces est nécessaire. Aucune de celles qui peuvent être utiles ne doit être mise de côté, sous quelque prétexte que ce soit. Si, par étroitesse d’esprit, par fanatisme politique, par ignorance ou par infatuation, nous en écartions quelqu’une, il nous arriverait ce qui est arrivé à nos ancêtres lorsqu’ils disaient : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » Les colonies ont péri, et les principes n’ont pas été sauvés. Craignons de nous exposer à un sort pareil. En fait de colonisation, il n’y a pas de principes, ou plutôt il n’y en a qu’un, c’est de s’occuper exclusivement du but à poursuivre. Les Anglais, nos maîtres en ce genre, nous donnent des leçons que je tâcherai de mettre en évidence. Mais ce que je voudrais surtout expliquer, c’est que la politique extérieure ne se fait pas tout entière au dehors, c’est qu’il existe une harmonie inévitable entre la conduite de la France chez elle et son action à l’étranger ; c’est qu’en se lançant au loin dans de grandes entreprises, elle s’oblige à montrer au dedans une modération, une prudence, une économie, un respect de tous les droits et de toutes les libertés sans lesquels ses efforts pour rayonner dans le monde seraient vains et stériles. Si ce réveil de l’esprit colonial ne coïncide pas avec un réveil de l’esprit de sagesse politique, il aboutira au plus pitoyable des échecs. C’est vouloir l’impossible que de briser un à un tous les ressorts de l’état, d’affaiblir et de ruiner sans cesse le gouvernement, de rompre avec toutes les traditions qui ont fait à l’intérieur et à l’extérieur la double grandeur de notre pays, et de chercher cependant à répandre dans l’univers entier son influence, son nom, sa fortune.

Pour réaliser le dessein que je me propose, je commencerai par examiner une question qui donne lieu, depuis quelques années, aux plus ardentes controverses et qu’il serait essentiel d’élucider enfin ;