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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/829

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caractère propre à séparer la torpille des autres poissons. Il ne s’est pas trouvé de savant pour établir le règne, l’ordre, ou la classe des animaux électriques. La torpille ressemble beaucoup à la raie : aussi la place-t-on dans l’échelle zoologique à côté des raies. C’est en vain qu’elle possède une propriété toute spéciale ; celle de faire jaillir de son corps une étincelle électrique ; on ne va point la classer avec les autres poissons électriques et à part des autres poissons.

Ainsi, pour séparer l’homme des animaux, il ne suffit pas d’établir que le cerveau de l’homme est plus gros que le cerveau des animaux.

On invoque aussi un autre caractère physique, moins essentiel encore. Chacun connaît ces deux médiocres vers d’Ovide :

Os homini sublime dedit, cœlumque tueri
Jussit et erectos ad sidera tollere vultus.


L’homme seul pourrait regarder le ciel en face ; mais l’argument est peu démonstratif. N’y a-t-il pas des animaux, comme les araignées, par exemple, et beaucoup d’insectes, qui ont les yeux placés au sommet de la tête, de manière à regarder le ciel bien plus facilement que les pauvres humains ?

L’homme est, dit-on encore, le seul des mammifères qui marche sur deux pieds. Voilà encore un mauvais caractère de classification. Qu’on se souvienne de l’argument de Diogène. Un grand philosophe ayant défini l’homme : un animal à deux pieds et sans plumes, Diogène prit un coq, le pluma, et le jeta dans les jambes du philosophe en lui disant : Voilà un homme. Ni la situation des yeux, ni la marche bipède, ne peuvent donc être des élémens raisonnables de classification. Surtout qu’on ne dise pas que cela crée un abîme, puisqu’il suffirait de prouver que certains singes marchent sur deux jambes au lieu de se tramer à quatre pattes, pour enlever à l’homme sa prééminence exorbitante.

À vrai dire, la plupart des savans reconnaissent que, par ses caractères physiques, l’homme est un simple animal. Mais cet animal serait doué de certaines facultés mentales prodigieusement différentes des facultés mentales des animaux. Certes, dit-on, un singe ressemble, par sa forme physique, à un homme ; mais entre le singe et l’homme il y a une telle différence d’intelligence, de moralité et de raison, qu’il faut placer ces deux êtres dans des règnes distincts. Ainsi l’homme est sociable, il sait faire du feu, il adore un Dieu ou des dieux, il parle, il peut transmettre à ses descendans les progrès qu’il a accomplis. Rien de tout cela n’existe chez les animaux.

Voilà les objections : voilà les argumens. Nous allons montrer qu’ils peuvent se ramener à un seul argument, très important, sans