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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/855

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harmonieux ? Peut-on imaginer une doctrine qui se concilie mieux que celle-là avec l’hypothèse d’une bonté et d’une puissance divines ? Un temps viendra, qui n’est pas loin, où l’église catholique, qui a abandonné, dès que cela est devenu nécessaire, ses idées sur le mouvement du soleil autour de la terre, ses idées aussi sur les sept jours de la création, abandonnera avec la même facilité ses idées sur les créations brusques. Les catholiques de la génération qui nous suit se rallieront franchement à la théorie d’une origine commune à toutes les espèces animales. Certes ils auront raison de céder. Quelle conception plus haute en effet pourraient-ils avoir de la nature que cet éternel progrès et cette marche ascendante vers une perfection suprême ?

Il ne s’agit pas assurément d’une perfection absolue. Les améliorations des formes ou des organismes ne sont que relatives. Il s’agit pour l’être de se conformer au milieu qui l’entoure, et, comme ces milieux sont très variables, il y a une diversité très grande dans la forme des organismes. La beauté, la force, la perfection, ne sont que relatives, dépendant de la nature du milieu dans lequel doivent vivre les êtres.

Il arrive, souvent que les plus résistans ne sont pas ceux que la nature a doués d’une puissance musculaire énorme, ou d’une taille gigantesque. Dans la lutte pour l’existence, la victoire reste aux animaux qui peuvent le mieux ou se détendre ou se cacher ; à ceux qui ont l’organisme le plus endurci contre les maladies ; à ceux dont la fécondité est la plus puissante.

Arrêtons-nous un instant sur la fécondité des êtres, envisagée comme un des moyens de la lutte pour l’existence. Plus une génération est nombreuse, plus sa persistance est assurée. Supposons que la conservation d’une espèce animale dépende seulement de cent individus, les individus peu nombreux seront, chacun de leur côté, exposés à d’innombrables chances de destruction. De toutes parts les ennemis vont fondre sur eux. Donc, l’espèce à laquelle ils appartiennent, et qu’ils sont seuls à représenter, courra de grands risques d’anéantissement, et il sera possible, et même probable, qu’elle sera bientôt totalement détruite. Mais si, au contraire, cette espèce est représentée par cent milliards d’individus, quelque grandes que soient les chances de destruction pour la plupart de ces individus, il en survivra toujours un certain nombre qui suffiront à assurer la perpétuité de l’espèce.

C’est ici que se manifeste une des plus admirables prévoyances de la nature. Les êtres les plus faibles sont ceux dont la fécondité est la plus grande. Ceux qui n’ont pour se défendre ni force, ni intelligence, ni instinct, ceux-là sont d’une telle fécondité qu’il suffit