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Sa vigueur musculaire n’est pas très grande. Un singe de taille humaine est fort comme dix hommes. Sa rapidité à la course est médiocre, pour peu qu’on le compare aux animaux de même taille, ou même à la plupart des mammifères. Il nage mal, et même, pour mal nager, a besoin d’un long exercice. Il n’est pas très agile, et ne saurait grimper sur les arbres qu’avec une ridicule maladresse. La nature l’a fait frugivore, et, par conséquent, ne lui a pas donné de moyens d’attaque comparables à ceux des carnassiers. Contre les carnassiers il est dépourvu de tout moyen de défense, et il ne saurait efficacement lutter contre un fauve, même de petite taille, par exemple contre un chat sauvage.

Les sens de l’homme sont obtus, sauf le toucher, qui est probablement chez nous plus développé que chez la plupart des êtres. Mais combien notre vue est insuffisante, si on la compare à celle des oiseaux, par exemple, qui voient de si loin et avec une si étonnante précision les plus petits objets, ou à celle des nombreux animaux qui voient la nuit presque aussi bien que le jour ! Notre ouïe et notre goût sont médiocres : nous n’avons qu’imparfaitement le discernement des poisons. Notre odorat surtout est très grossier, et, sous le rapport de l’olfaction, nous sommes peut-être les moins bien doués de tous les mammifères.

Nul instinct ne nous protège. Notre fécondité est minime. L’enfant nouveau-né est d’une extrême faiblesse. Nous supportons mal la fatigue, la privation de sommeil et la faim. Notre organisme est facilement envahi par les parasites les plus divers. Toutes les maladies qui sévissent sur les animaux peuvent sévir sur nous ; et il est beaucoup d’autres maladies très graves, qui nous atteignent cruellement, alors que les animaux leur sont tout à fait réfractaires.

En un mot, l’homme paraît être, de tous les animaux terrestres, le moins bien armé pour la lutte : aussi tout ferait prévoir le prompt anéantissement de l’espèce humaine par les élémens et les êtres adverses, si elle ne possédait dans son intelligence supérieure une force prodigieuse qui compense, et au-delà, son infirmité physique. Cette force a pu lui donner, dans la lutte pour l’existence, le triomphe définitif sur tous les animaux.

Les moyens de défense ou d’attaque que la nature lui a refusés, l’homme les a créés. Par son intelligence il a pu se donner des armes, des vêtemens, des habitations, se protéger contre la rigueur des saisons et des climats. Qu’importe que sa peau délicate ne le défende pas contre le froid s’il trouve dans les plantes de quoi se tisser des vêtemens, dans les fourrures des animaux, de quoi suppléer à l’insuffisance de son tégument naturel ? Qu’importe qu’il ne puisse pas résister longtemps à la faim, s’il peut cultiver le sol, et par là, s’assurer une subsistance certaine ?