Sous ces noms divers, ces différens peuples, sans s’être entendus ensemble, désignent la même chose, c’est-à-dire une sorte de vie confuse, qui est censée survivre à la vie véritable, dont ils ne savent comment se rendre compte, mais à laquelle ils ne peuvent pas renoncer. Le double des Égyptiens n’est pas, comme l’âme des philosophes, d’une nature tout à fait immatérielle ; quoique séparé du corps, il éprouve à peu près les mêmes besoins que lui. Pour qu’il continue d’exister, il faut qu’on lui trouve une demeure, qu’on lui procure des alimens. Il a besoin surtout d’un soutien, d’un support, sur lequel puisse s’appuyer sa fragile existence, et ce soutien c’est le corps lui-même, dont il est détaché. Il faut qu’au jour de la renaissance le double le retrouve et puisse se réunir de nouveau à lui. De là toutes les précautions qu’on prend pour assurer la durée indéfinie du corps. On le dessèche, on l’embaume, on l’emprisonne de bandelettes, on l’enferme dans une boîte ; en un mot, on a créé tout un art compliqué pour le mettre à l’abri de la corruption. La momie rendue ainsi indestructible, il faut lui construire une habitation qui résiste aux hommes et brave le temps. C’est ce que, pendant vingt siècles, les architectes de l’Égypte ont essayé de faire. On peut voir, dans le livre de M. Perrot, que de combinaisons ingénieuses, que de créations hardies ils ont imaginées pour y parvenir. Leur méthode change selon le pays où ils travaillaient, et à chaque fois le terrain leur oppose des difficultés qu’ils arrivent péniblement à vaincre. Ici, ils taillent la tombe dans le roc ; là, ils la creusent sous la terre ; ailleurs ils la posent sur le sable en l’élevant à des hauteurs effrayantes. De là sont nés ce qu’on appelle le mastaba, le serdab, les pyramides, les syringes, etc., toute une architecture funéraire dont les formes infiniment variées répondent à un même besoin et cherchent à le satisfaire d’une manière différente. Chacun de ces types de sépulture a sa raison d’être et s’explique par la configuration du sol ou les opinions du moment ; chacun est un effort nouveau des artistes pour trouver le secret d’une tombe qui soit inaccessible et éternelle. Ont-ils réussi dans leur dessein ? On est bien tenté d’en douter, quand on voit le nombre des momies qui peuplent tous les musées de l’Europe. Évidemment le mystère de leurs tombes les a mal protégées contre les curieux. Les savans, qui ne respectent rien, ont fini par découvrir la porte des sépultures les plus cachées ; ils se sont glissés par les corridors obscurs, ils ont évité les fausses pistes, et, après beaucoup de recherches et d’erreurs, ils sont parvenus à la chambre funèbre où reposait le Pharaon avec sa famille ; ils l’en ont tiré sans pitié pour l’exposer derrière quelque vitrine à l’admiration des badauds. Mais ils n’ont pas toujours réussi. Nous ne savons pas tout ce que la terre d’Egypte cache dans ses profondeurs, tout ce qu’elle gardera pour elle seule. Mariette aimait à dire qu’il y a des momies si bien enfouies que jamais, au sens absolu du mot jamais, elles ne reverront le jour. Pour celles-là, l’architecte a
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