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le corps, je ne crains que la perte de mon âme. Si l’on me disait : — On va t’enterrer vivant, — je ne tremblerais pas. Qu’on me chasse,.. j’attends ;.. qu’on me prenne,.. je veux souffrir ! »


V.

D’où part ce cri passionné ? Est-ce de notre siècle indifférent ? N’est-ce pas plutôt du XVIe du XVe siècle ? Les hommes que nous venons d’entendre sont-ils nos contemporains ou ceux de Jean Huss et de Jérôme de Prague ? En parcourant cette histoire russe, le lecteur a certainement cru relire une histoire du temps de la réforme ; hommes, vies, sentimens, idées, paroles, tout semble emprunté à ce temps, tout nous était connu, les noms seuls sont nouveaux ; sans eux, la méprise pourrait être complète. Je ne me suis pas trop avancé, je crois, en disant que ce coin du présent jetait une vive lumière sur les grands faits du passé. Il serait presque banal de rechercher les analogies ; elles se présentent d’elles-mêmes à chaque esprit familier avec les études historiques. Toutefois, pour trouver ces analogies plus exactes et ne pas être entraîné à de fausses déductions, ce n’est point à la période triomphante de la réforme qu’il faut se reporter ; mieux vaut reculer par-delà Luther et Calvin jusqu’aux précurseurs du XVe siècle, aux premiers lecteurs de bibles vulgaires, lollards d’Angleterre et taborites d’Allemagne. Sutaïef et l’état social dans lequel il vit font admirablement comprendre ce qui se passa dans le peuple d’Angleterre, par exemple, quand parut la bible de Wyclef avec ce prologue : « Chaque endroit de la sainte Écriture, les clairs comme les obscurs, enseignent la douceur et la charité. C’est pourquoi celui qui pratique la douceur et la charité a la vraie intelligence et toute la perfection de la sainte Écriture ; ainsi, que l’homme simple d’esprit ne s’effraie pas d’étudier le texte. »

Avançons de quelques années, passons en Bohême ; ici la comparaison présente un intérêt très vif. On sait que les populations de ce pays sont de race et de langue slaves ; entraînées de bonne heure dans l’orbite de la civilisation occidentale, elles fournissent d’habitude aux partisans de la théorie des races un champ d’expériences où ils veulent deviner ce que feront dans telle circonstance les Slaves d’Orient. Précisément la Pensée russe publie, en regard des articles de M. Prougavine, une étude de M. Venguérof sur le mouvement hussite. L’écrivain moscovite s’empare de cette phrase du professeur Höfler, le biographe de Jean Huss qui fait autorité en Allemagne : « Après de longues années de travail consacrées aux hussites,