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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/948

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perpétuer la gloire de la sienne. Cependant Blondel a élevé comme son fils l’enfant d’une paysanne qu’il avait épousée ; le duc a lieu de croire que cet enfant est le sien. L’un veut adopter le jeune homme, et l’autre le reconnaître ? il faut que Philippe choisisse. Philippe aime Hélène d’Argeville, la nièce du duc, qui répugne à troquer son nom contre un nom roturier. On devine le combat que se livrent en son âme les démons contraires du passé et de l’avenir ; on devine lequel l’emporte. Il choisit le nom vivant de l’honnête homme qui l’a élevé ; il laisse là le titre mort de celui qui l’a mis au monde pour ne s’inquiéter de lui que vingt ans après ; et, conquise par son courage, l’altière jeune fille se décide à fonder avec lui une famille où le sang de la vieille race continuera l’honneur du nom nouveau.

Ce qu’on ne devine pas, c’est l’originalité des caractères de Blondel, le roturier attaché à son nom, et de l’abbé d’Argeville, frère du duc, représentant de la noblesse qui abdique, mais qui abdique fièrement, qui se retire dans la contemplation des choses éternelles en adressant un sourire dédaigneux, mais indulgent, libéral et résigné aux choses nouvelles de la terre. L’abbé marquis d’Argeville fait connaître aux autres cette liberté qu’il n’a pas voulu servir ; il prête l’histoire de la révolution à ceux pour qui elle s’est faite : est-ce à dire qu’il trahit sa caste ? Non, pas plus que son état. Il a quitté les intérêts de l’une parce qu’elle n’en a plus dans ce monde ; il est tout aux devoirs de l’autre. On le connaît à plein dans une scène dont la beauté a forcé l’enthousiasme d’un public récalcitrant. Le duc d’Argeville soupçonne que Philippe est son fils ; s’il en est sûr, il le reconnaîtra, et son nom, ce nom que son frère aime autant que lui, sera perpétué. Justement un seul homme peut lui dire le secret de la naissance de Philippe : c’est son frère l’abbé, qui a reçu la confession de la mère mourante. Il accourt chez lui et le presse de questions : « Est-ce au gentilhomme que vous partez ? ou bien au prêtre ? — Au gentilhomme. — Il ne sait-rien. — Au prêtre aussi… — Au prêtre ! Alors on ne passe pas. » Et l’abbé place entre lui et son frère, débout sur sa table, un crucifix. Ceux qui d’abord, en voyant paraître une soutane dans la pièce d’un rédacteur du Voltaire avaient craint quelque faute contre les bienséances, avaient oublié apparemment, que M. Bergerat est un artiste.

Une telle scène, avec elle du premier acte où Blondel fait d’une façon si simple et si touchante à Philippe le récit de son mariage, compenserait plus de maladresses qu’il ne s’en trouve dans l’ordonnance de l’intrigue, plus d’obscurités et de violences qu’on n’en peut espérer dans le quatrième acte, plus de bizarreries qu’il n’est facile d’en relever de ci de là, dans le dialogue. Il faut souhaiter que M. Bergerat, dans un prochain ouvrage, se guinde moins souvent à des abstractions oratoires, qu’il ordonne avec plus d’aisance des sentimens plus humains,