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recherche archéologique à moins d’une autorisation du ministre, défendit l’exportation des objets antiques à l’exception des monnaies[1], et prescrivit que les objets gisant sur le sol pourraient seuls faire l’objet d’une fouille, sans qu’il fût permis de dépouiller de leurs ornemens les édifices restés debout. Cette dernière disposition, qui est fort judicieuse, visait certains abus commis par les explorateurs anglais en Anatolie. Le dernier article de cette loi de 1869 est intéressant à citer. « Les personnes qui possèdent des connaissances spéciales pour la recherche et la découverte des antiquités et qui seront en état de le prouver au département de l’instruction publique, seront chargées de faire des fouilles aux frais de l’état et obtiendront dans le même but des missions spéciales du gouvernement impérial. Les personnes de cette catégorie sont par conséquent invitées à s’adresser au ministère de l’instruction publique. » On reconnaît là bien clairement l’inspiration d’un étranger intéressé. Pas plus en 1869 qu’aujourd’hui, la Turquie n’était en état de subventionner des fouilles : eût-elle pu le faire, elle aurait commis une folie en dépensant de l’argent pour l’exhumation d’antiquités qui ne peuvent l’intéresser en quoi que ce soit.

Dans les années qui suivirent la loi de 1869, dont on ne paraît pas avoir tenu grand compte, se produisirent deux découvertes retentissantes, celles des trésors de Curium par M. de Cesnola et des trésors d’Hissarlik par M. Schliemann. Ce n’étaient plus des statues et des inscriptions que l’on exhumait, mais des masses de métaux précieux dont la valeur intrinsèque atteignait cent mille francs à Chypre et cinquante mille francs à Hissarlik. Les deux explorateurs avaient embarqué leurs trouvailles pour l’Europe sans que le gouvernement ottoman en eût sa part[2]. La Porte attaqua M. Schliemann devant les tribunaux d’Athènes, où il s’était réfugié avec sa collection. L’avocat de M. Schliemann présenta un argument admirable : « Troie, dit-il, a été conquise par les Grecs, sous la conduite d’Agamemnon. M. Schliemann, aujourd’hui citoyen grec, a retrouvé le trésor de Priam : c’est donc à la Grèce que ce trésor appartient par droit de conquête. » Les juges, sensibles à cet argument d’une archéologie aventureuse, condamnèrent M. Schliemann à garder sa collection, tout en payant à la

  1. Cette réserve n’est ni dans la loi grecque de 1835, ni dans la loi turque de 1874. Mais comment interdire l’exportation d’objets qui tiennent dans le coin d’une poche?
  2. En 1874, M. de Cesnola a gracieusement cédé à la Porte quatre-vingt-huit caisses d’antiquités chypriotes qui sont aujourd’hui au musée de Constantinople. Mais le trésor de Curium est au musée métropolitain de New-York. On sait que celui d’Hissarlik a été donné au musée de Berlin par M. Schliemann. Quelques bijoux, volés par les ouvriers de M. Schliemann, ont été confisqués par le gouvernement turc et se trouvent, en partie du moins, au musée de Tchinly-Kiosk.