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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/297

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offices de ses troupes et de son administration, accordant à chacun liberté entière dans l’exercice de son culte. C’est ainsi qu’il parvint à se faire accepter comme un libérateur par la majorité des populations et non-seulement à faire vivre en paix, grâce au lien de sa domination, des élémens aussi disparates, mais à les fondre jusqu’à un certain point en éveillant chez eux le sentiment d’une nationalité commune. Cet homme qui, parti d’un petit manoir de la Normandie, cadet d’une nombreuse famille, avait commencé, dans son camp de San-Marco-Argentaro, palissade à la façon de ceux des anciens vikings, par mener, à force de misère, la vie d’une sorte de chef de bandits, ne fut pas seulement un grand conquérant, il montra dans l’exercice du pouvoir les qualités d’un fondateur de peuple.

L’extension des conquêtes de Robert Guiscard et la transformation de son pouvoir ne profitèrent pas à Melfi, bien au contraire. Quand le duc normand se fut rendu maître de Salerne, il y transporta sa résidence et la capitale de ses états. Cette grande ville lui paraissait plus en rapport avec l’éclat qui devait désormais entourer la cour d’un grand prince. D’ailleurs il y trouvait des traditions monarchiques qui lui plaisaient en lui semblant offrir plus de garanties que l’esprit qui régnait à Melfi. De plus, dans la forteresse apulienne, il s’était senti jusque-là presque à la merci des velléités de révolte des grands barons du voisinage, lesquels lui faisaient une sourde opposition et ne dissimulaient pas leurs regrets du régime de république aristocratique qui avait régné sous les premiers comtes.

Melfi ne perdit pas cependant toute son importance avec le transport du centre du gouvernement à Salerne. Le pape Urbain Il y rassembla un nouveau concile en 1089. Le roi Roger s’occupa d’embellir cette ville, qui restait royale et où il fit tenir en 1130 un concile schismatique par son antipape Anaclet. Du temps de la maison de Souabe, Frédéric Il y vint souvent passer les mois d’été, attiré par le climat tempéré qui y marque cette saison et par les alimens que les bois du Vulture offraient à sa passion pour la chasse. C’est à Melfi qu’en 1231 il promulgua les fameuses Constitutions augustales, compilées par son chancelier Pierre de la Vigne avec l’assistance des deux grands jurisconsultes Roffrido de Bénévent et Taddeo de Sessa, vaste code de lois embrassant le droit politique, le droit civil, criminel et féodal, les règles de la procédure, la compétence des juges et des fonctionnaires, les frais et dépens, les finances, la police, les poids et mesures, enfin les monnaies. Divisé en trois livres comprenant 290 décrets, dont 42 émanant du roi Roger, 23 des deux Guillaume et 225 de Frédéric lui-même, ce recueil est disposé