et vous êtes le candidat désigné des tories. — Le candidat des tories ? Vraiment non. — Eh quoi ! mon fils, seriez-vous whig ? — Eh ! Dieu m’en garde ! — Mais qu’êtes-vous donc ? — Je suis radical. » Un début de roman pour Thackeray ! Une scène de grand effet est aussi celle où Harold, après sa déconfiture électorale, rencontrant dans l’auberge qui sert de réunion à la gentry du district l’homme de loi Jermyn, lève sur lui sa cravache et où ce dernier laisse échapper par vengeance l’odieux secret si longtemps retenu. « Eh bien ! frappez donc, je suis votre père. » Harold tombe anéanti, et alors le député tory, son heureux rival politique, s’élançant sur Jermyn et lui saisissant violemment le bras : « Sortez, monsieur, nous sommes ici entre gentilshommes ! » Un dénoûment pour Alexandre Dumas fils ! Et cette autre scène encore, où la charmante Esther Lyon, héritière légale reconnue du nom et de la fortune des Transome, éveillée pendant la nuit, entr’ouvre sa porte et voit la douairière errant le long des corridors, gémissant sous le poids de l’affront et portant la main à sa joue comme pour apaiser la cuisante douleur d’un soufflet donné par une main invisible. Une situation pour Charlotte Brontë ! — Mais cet élément mélodramatique est traité avec une sobriété extrême, sans déclamations, sans dépenses d’éloquence ; un éclair, un coup de foudre, une trace noire, et c’est tout.
Je n’oserais dire que, dans ce roman, George Eliot ait voulu tracer son idéal du parfait démocrate, mais elle a certainement voulu se prononcer sur les vertus qui conviennent à celui qui prend ce titre et sur le principe qui doit être la règle de sa conduite. Ce principe, c’est toujours, c’est plus que jamais l’oubli de soi. Selon George Eliot, le radical est l’homme à qui les mobiles égoïstes sont le plus particulièrement interdits, car, s’il leur obéit, en quoi diffère-t-il des hommes des autres partis ? Qu’un conservateur ait des mobiles égoïstes, cela est assez naturel, puisqu’il considère certains intérêts de classe comme important au bon ordre de la société et à la sûreté de l’état ; mais le radical, qui nie précisément qu’il y ait aucun intérêt de classe qui doive devenir dominant au point d’importer à l’existence de la société, ne doit avoir d’autres pensées que générales, d’autres sentimens que désintéressés, et, de même que les chrétiens des premiers siècles considéraient qu’ils devaient agir en tout à l’inverse des païens, il doit tenir à honneur de répudier tous les motifs personnels qui font agir les autres hommes. Ainsi pense Félix Holt. On ne saurait dire que ce personnage soit précisément aimable, mais il est profondément anglais, et on peut contempler en lui un des produits les moins séduisans, mais les plus curieux de la civilisation protestante. Bienfaisant avec rudesse, franc jusqu’à la grossièreté, ennemi de la sentimentalité jusqu’à la négation de toute