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amnistie en faveur des « anarchistes » condamnés à Lyon. Lorsque, peu de jours après son arrivée aux affaires, M. le président du conseil a eu à se prononcer sur une proposition de révision constitutionnelle, il en a demandé sans balancer l’ajournement à peu près indéfini et il a tracé une sorte de programme où, à travers bien des équivoques, perce un certain sentiment presque conservateur. Il n’a pas caché à ses amis les républicains qu’ils se trompaient, qu’ils ne connaissaient pas le pays, — « cette grande masse avide de paix et d’activité féconde, » — qu’ils compromettraient la république devant cette « masse » en la représentant comme un système d’agitation perpétuelle, en réveillant sans cesse les discussions irritantes et stériles. M. le président du conseil déclarait aussi qu’il y avait avant tout à calmer les passions, à rétablir la confiance ébranlée, à « reconstituer par une majorité solide un gouvernement durable, » que sans cela rien n’était possible. — Pacifier les esprits, constituer un gouvernement dans la république, rien de mieux à coup. sûr, l’entreprise est digne d’être tentée. Seulement le chef du cabinet ne s’est peut-être pas rendu un compte bien précis des conditions de l’œuvre qu’il a la volonté d’accomplir s’il n’est pas arrêté en chemin. Il est bien certain qu’il aurait tout d’abord à faire son examen de conscience, à prendre un parti sur quelques points essentiels entre bien d’autres, — sur ce que nous appellerons la direction morale de sa politique et sur l’état financier : car enfin on n’a pas apparemment la prétention d’être un « gouvernement durable, » de ranimer la confiance, de rassurer les intérêts, en continuant une politique qui n’a eu jusqu’ici d’autre effet que d’inquiéter, d’aliéner les instincts conservateurs d’une partie considérable de la France et d’engager dangereusement les finances du pays.

Ce qu’on peut appeler la direction morale de la politique, c’est tout ce qui touche à ces questions si compliquées, si délicates de l’enseignement nouveau et des croyances religieuses, de l’instruction obligatoire et de la liberté des consciences. Que disait donc M. le président du conseil qu’il ne fallait pas faire de la république un système d’agitation ? Mais c’est précisément ce qu’on fait tous les jours depuis comme avant son arrivée au pouvoir, c’est cette triste politique qui crée la plus périlleuse des agitations en faisant de la république un gouvernement de secte. On se flatte quelquefois assez orgueilleusement d’avoir accompli la plus grande réforme du temps en instituant ce vaste ensemble d’enseignement obligatoire qui va se déployer dans toute la France, depuis la ville la plus populeuse jusqu’au plus petit des hameaux. Soit, l’enseignement nouveau coûtera dans tous les cas assez cher à l’état et aux communes avant de produire des fruits qui restent douteux. Encore du moins faudrait-il commencer par y mettre quelque mesure, par respecter la conscience des uns, la liberté de tous dans les premières applications d’une loi qui ne peut s’établir dans les mœurs, produire