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« politique des intérêts » dont M. Léon Say parlait ces jours derniers devant la chambre de commerce de Lyon, qui devient plus que jamais nécessaire. Ou aura beau essayer de se faire illusion, pallier la réalité par des explications plus ou moins spécieuses, et s’en remettre à la puissance des ressources vitales de la France, la vérité éclate partout et elle a l’éloquence des chiffres. Sans doute les ressources de la France restent toujours puissantes ; mais on peut dire que, sans être épuisées, elles sont pour le moins engagées de la manière la plus sérieuse, la plus dangereuse. Il y a eu, il y a quelques années, nous le voulons bien, ces temps de prospérité que rappelait récemment avec une certaine mélancolie M. Léon Renault, où l’on se laissait éblouir par les plus-values et les excédens de recettes, où l’on abusait de tout, où l’on croyait possible de tout entreprendre à la fois, a de concilier la politique des dégrèvemens avec celle des grands travaux publics de toute sorte. » Ces prospérités ont passé rapidement. On en est venu bientôt aux embarras, à la gêne sous les dehors de l’opulence.

On a été conduit à cette situation, qui était déjà laborieuse l’an dernier, qui devient plus difficile encore cette année, et dont le dernier mot est écrit dans des chiffres démesurés, dans ce budget de 1884, que M. le ministre des finances a laissé aux chambres avant d’aller faire en Algérie un voyage assez énigmatique. A la rigueur sans doute, à ne regarder que l’apparence, ce budget pourrait passer encore pour régulier puisqu’à côté d’une somme de 3 milliards 103 millions, il y a une recette équivalente, avec un léger excédent de 259,650 francs ; mais ce n’est qu’une apparence. Il est facile de voir combien est fragile cet équilibre de dépenses et de recettes entre lesquelles il n’y a qu’une si faible différence, surtout quand on est obligé de recourir à de laborieux artifices et de faire entrer dans les évaluations des ressources problématiques. Au fond, c’est un déficit évident et inévitable. Comment en est-on venu là ? Évidemment il y a toujours des explications, et M. Tirard, qui, sans rien inventer, a le mérite de ne rien déguiser, passe d’un air assez morose la revue de toutes les causes qui ont si prodigieusement enflé nos budgets. Il ne néglige rien, ni les dépenses militaires, ni les dépenses croissantes de l’enseignement, ni la nécessité de gager les emprunts, ni « les améliorations indispensables au bon recrutement des fonctionnaires, qui devient de plus en plus difficile. » Le fait est que, depuis 1876, les dépenses publiques ont monté de 2,680 millions à 3,050 millions en 1883, à 3,103 millions pour 1884. Ce n’est là d’ailleurs qu’une expression partielle et incomplète de notre situation financière. A côté du budget ordinaire, qui est seul connu jusqu’ici, il y a le budget extraordinaire, qu’on n’a pas trouvé encore le temps de présenter, — et ici c’est l’emprunt dans tout son éclat, l’emprunt toujours grandissant, ajoutant sans cesse au chiffre colossal d’une dette dont les intérêts de toute sotte s’élèvent à 1,300 millions : de