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dans un lieu quelconque sans les mettre en vente journellement et publiquement ». Peine de mort contre lui si dans la huitaine, il n’a pas fait sa déclaration ou s’il a fait une déclaration fausse. Peine de mort pour le particulier qui garde chez lui plus de pain qu’il n’en faut pour sa subsistance[1]. Peine de mort contre le cultivateur qui ne porte pas chaque semaine ses grains au marché. Peine de mort contre le marchand qui n’affiche pas le contenu de son entrepôt ou ne tient pas sa boutique ouverte. Peine de mort contre l’industriel qui ne justifie pas de la manipulation quotidienne de ses matières ouvrables. Quant aux prix, nous intervenons d’autorité entre le vendeur et l’acheteur; pour tous les objets qui, de près ou de loin, servent à nourrir, abreuver, chauffer blanchir, chausser et vêtir les hommes, nous fixons un prix extrême ; nous incarcérons quiconque offre ou demande au-delà. Peu importe qua ce taux, le marchand ou l’industriel ne fasse pas ses frais si après l’établissement du maximum il ferme sa manufacture ou abandonne son commerce, nous le déclarerons suspect ; mous l’enchaînons a sa besogne, nous l’obligeons à perdre. — Voilà de quoi rogner les griffes aux bêtes de proie, grandes et petites.

Mais les griffes repoussent, et peut-être, au lieu de les couper, vaudrait-il mieux les arracher tout à fait. Quelques-uns d’entre nous y ont déjà songé : on appliquerait à tous les objets le droit de préemption; « on établirait dans chaque département des magasins nationaux où les cultivateurs, les propriétaires, les manufacturiers seraient obligés de déposer, à un prix modéré, qu’ils recevraient à l’instant, l’excédent de leur consommation de toute espèce de marchandises. La nation distribuerait les mêmes marchandises aux commerçans en gros, en conservant un bénéfice de 6 pour 100 Le bénéfice du commerçant en gros serait fixé à 8 pour 100 et celui du détaillant à 12 pour 100<ref> Journal des débats de la société des jacobins, n° 532, 20 brumaire an II. Plan du citoyen Dupré, présenté à la Convention par une députation de la société des Arcis. — Dauban, Paris en 1794, p. 483, projet analogue au précédent, présenté au comité de Salut public pour la société jacobine de Montereau ; thermidor an. II.<//ref>. » De cette façon, les agriculteurs, les industriels et les marchands deviendraient tous des commis de l’État, appointés par une prime ou par une remise ; ne pouvant plus gagner beaucoup, ils ne seraient plus tentés de gagner trop ; ils cesseraient d’être cupides, et bientôt ils cesseraient d’être égoïstes. — Au fond puisque l’égoïsme est le vice capital, et que la propriété individuelle en est l’aliment, pourquoi ne pas supprimer la propriété individuelle ?

  1. Moniteur, XVIII, 359. « Du 16 brumaire an II, condamnation à mort de Pierre Goudier, âge de trente-six ans, agent de change, demeurant à Paris, rue Bellefond, convaincu d’avoir accaparé et caché chez lui une grande quantité de pain, afin de faire naître la disette au sein de l’abondance. »