Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/763

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des pensemens et des inclinations de nos pères ? » — Montaigne a raison. Nous portons en nous la trace des pensées et des passions de nos pères ; nous avons contracté dans le commerce des générations qui nous ont amenés à la vie des dispositions et des habitudes. Et pourtant il nous reste une chance d’être nous-mêmes, de rester nous-mêmes au milieu de ces influences qui nous viennent de toutes parts et qui nous arrivent même du fond des siècles, c’est la personnalité, trop méconnue par la psychologie naturaliste.

M. Ribot a consacré une partie très étendue de son ouvrage à l’analyse des faits, et il a raison. La question n’est pas de savoir si l’hérédité psychologique est possible, mais si elle est réelle. Peu importe qu’elle agrée ou non aux différens esprits, selon leur humeur dogmatique, peu importe qu’elle soit plus ou moins d’accord avec tel ou tel système ; il s’agit de savoir si elle existe et dans quelle mesure. « Rassemblons des faits pour nous donner des idées, » disait Buffon. M. Ribot a rassemblé avec un grand zèle ceux qui lui semblaient les plus significatifs. Je ne jurerais pas cependant que ce soient toujours les faits qui, selon le précepte de Buffon, lui ont donné ses idées. Sur plus d’un point, il est sensible que ce sont ses idées qui lui suggèrent, je ne dirai pas les faits, mais l’explication des faits. Il y a là des tentations dont il est bien difficile de se préserver, en pareille matière, dans un sens aussi bien que dans l’autre.

Tout en mettant à profit les riches nomenclatures placées sous nos yeux, nous devons reconnaître qu’il s’en faut que tous les élémens de ces tableaux aient la même valeur et témoignent avec une vraisemblance égale en faveur de l’hérédité. Il y faut introduire, à ce qu’il me semble, un principe de classification qui en distribue l’inégale probabilité à bien des degrés divers et dans des catégories distinctes. S’il y a une induction qui résulte de l’examen comparatif des faits, c’est que l’hérédité s’efface et s’atténue de plus en plus à mesure que les fonctions mentales s’élèvent en importance et en dignité et finit presque par disparaître, tandis qu’elle se montre d’autant plus énergique et active que les modes qu’elle régit ont plus de liens et d’affinités avec l’organisme. On dirait que du fond de l’organisme une force secrète agit sur certains phénomènes limitrophes, les attire à elle et les rattache plus directement à l’hérédité physiologique. Ainsi, sur les vagues frontières qui séparent les deux domaines, la loi se révèle avec une force et une clarté presque dominatrices, qui décroissent sensiblement à mesure que l’on s’élève dans les régions des phénomènes supérieurs et vraiment humains. Cette induction, qui a pour nous la valeur d’un axiome, nous est suggérée par la lecture attentive des tableaux