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Frédéric l’appelle quelquefois en plaisantant, — est situé dans les plaines monotones de la Marche, et, si l’horizon n’y a pas grand charme, le parc du moins est égayé par un petit lac et bien planté. Frédéric s’occupe aussitôt de faire réparer le château, qui est fort délabré, et il charge de ce soin le baron de Knobelsdorf, un ancien officier qui a quitté le service en 1730, afin de se livrer plus complètement à ses goûts. Sans avoir reçu une éducation vraiment artistique, Knobelsdorf, grâce à ses dispositions naturelles et à ses voyages en Italie et en France, avait acquis un certain talent d’amateur comme pemtre et comme architecte. Frédéric, qui l’emploiera beaucoup, le tire de sa retraite et en fait son ami. Il lui consacrera même, quand il le perdra, en 1753, un éloge public qui sera lu dans une séance solennelle de l’Académie de Berlin (24 janvier 1754).

Retiré à Rheinsberg, Frédéric, jusqu’à la mort de son père, y vit étranger, en apparence du moins, à la politique. Il s’occupe d’art et de littérature. Cherchant, sans toujours y parvenir, à ne pas trop attirer l’attention de ce terrible père, il s’entoure d’amis qu’il s’est choisis de façon à ne pas lui porter ombrage. Parmi cette petite cour, avec Knobelsdorf et Kaiserling, qui sont Allemands, il faut citer Jordan et Lamotte-Fouqué, des fils de réfugiés français ; ce chevalier de Chazot, auquel M. Blaze de Bury a consacré ici même une piquante étude[1] et qui, en sa qualité de flûtiste, pouvait au besoin accompagner la partie du roi ; enfin le peintre Antoine Pesne, qui concourt à la décoration du château et fait aussi les portraits des principaux hôtes de Rheinsberg et celui de Frédéric lui-même, qu’il nous montre vers cette époque (1739) en costume élégant, — une armure qui laisse voir son habit brodé et, jeté par-dessus, un manteau de velours rouge doublé d’hermine. Frisé et poudré, avec sa physionomie fine, spirituelle, le jeune prince nous apparaît plein de confiance et comme impatient d’action. Frédéric pousse vivement les travaux d’appropriation du parc et du château, et il tient sa sœur au courant de tout ce qui se passe dans sa nouvelle résidence. Elle lui manque ; il aimerait à la faire jouir du mouvement intellectuel, des distractions variées qu’il a su se créer autour de lui. Il lui raconte ses projets, son installation : « Vous me faites trop de grâce de penser à Rheinsberg. Tout y est meublé, et il y a deux chambres pleines de tableaux. Les autres sont en trumeaux de glaces et en boiserie dorée ou argentée. La plupart de mes tableaux sont de Watteau ou de Lancret, tous deux peintres français de l’école de Brabant. » Pour faire mieux connaître à la princesse sa nouvelle habitation, il lui envoie à Baireuth

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1869. On peut aussi consulter pour cette partie de la vie de Frédéric : sa Correspondance, les Lettres du baron de Bielefeld et surtout le volume de M. G. Desnoiresterres, Voltaire et Frédéric.