sien n’en pas cette fortune, si c’en est une ; ils suivent leur penchant avec l’indépendance un peu dédaigneuse qui révèle le penseur et l’artiste, consignent leurs observations, marquent d’un trait net ce qu’ils croient être la vérité, quitte à laisser dire ensuite. Devenir populaires, rester surtout prophètes chez eux, est leur moindre souci. Dans la série qui commence à la Pension Beaurepas et qui, passant par le Paquet de lettres et le Point de vue, n’est pas près, nous l’espérons, d’être terminée, l’auteur de the American a plus vaillamment que jamais dit leur fait à ses compatriotes, tout en portant avec une égale impartialité sur les Européens en général ses jugemens de cosmopolite bien renseigné. Il suppose un certain nombre de personnages appartenant à différens pays, réunis dans une pension de Suisse, il nous fait faire connaissance avec eux, divulgue leurs antécédens, surprend leurs secrets, décachete leurs lettres et trouve moyen de nous intéresser à ce foyer de menus commérages internationaux, de telle sorte que nous ne regrettons plus ni ses nouvelles, où il était souvent trop à l’étroit pour les développemens psychologiques, ni ses romans en trois volumes qui manquent de chaleur, de mouvement et où l’action est toujours délayée outre mesure.
Analyser ce genre d’ouvrage si merveilleusement conforme au génie de M. James serait bien difficile, tout le charme, subtil comme la brillante poussière sur l’aile d’un papillon, étant dans le ton original et familier des lettres, la vivacité des conversations, l’amusante opposition des jugemens portés sur une même chose ou une même personne par un pédant de Gœttingue, un Parisien entreprenant, des Américaines avides de tout acheter et de tout apprendre, des Anglaises scandalisées, etc.. L’auteur s’incarne dans chacun de ses personnages, prend tour à tour leurs préjugés, leurs passions, leurs ridicules, avec une souplesse et une habileté prodigieuses. Évidemment il a réalisé le désir de Stendhal, qui rêvait, pour bien connaître la nature humaine, de « vivre dans une pension bourgeoise où les gens ne peuvent cacher leurs véritables caractères. » Une pension de Genève est à ce titre l’idéal du genre : c’est l’Europe, c’est le monde qui défile chez Mme Beaurepas. Pour donner l’idée de la troisième manière de M. Henry James, qui est, à notre avis, la meilleure, nous transcrirons ici son dernier ouvrage, the Point of the view. Les pages suivantes traitent, sous forme épistolaire, du retour dans leur patrie des deux habituées principales de la pension Beaurepas, Mrs Church, une mère américaine, prétentieuse et sans le sou, éprise des « pays historiques, » et sa fille, miss Aurora, qui, sous prétexte d’apprendre les langues européennes et de recevoir une teinture des vieilles philosophies, a erré, depuis son enfance, à l’étranger,