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c’était au moins un soufflet probable. Il est très probable aussi que la façon dont on nous traite ne ressemble guère à un bon procédé, et malheureusement cela tombe sur un moment où nous sommes en froid avec les Anglais, nos seuls amis, lesquels profitent de la circonstance pour nous adresser de pressantes admonestations, pour nous dire : « Vous voyez ce qui vous arrive, vous êtes en butte aux méfiances, aux animadversions, tout le monde s’ameute, se coalise contre vous. Soyez très sages, soyez très prudens, renoncez au monde et à ses pompes, à la chair et à ses désirs. Vivez en ascètes, en anachorètes ; laissez à d’autres les grands projets, les entreprises lointaines ; tâcher d’oublier l’Egypte, Madagascar, le Congo, le Tonkin ; tenez-vous tranquilles, restez chez vous, parlez très bas et souffrez que nous fassions d’un bout de l’univers à l’autre tout ce qui nous plaît. » Il est dur de recevoir des leçons de modération et de tempérance d’excellens amis qui sont sur leur bouche et ne se refusent rien ; il est dur d’être mis au régime par les plus gros mangeurs de l’univers.

Nous ne pouvons douter de notre isolement, et nous aurions tort de nous y résigner. Il est beau de s’écrier fièrement : « Nous nous suffirons à nous-mêmes ! » C’est un mot de héros de mélodrame, ce n’est pas un mot de politique, et nous sommes certains que notre ministre des affaires étrangères en juge ainsi. Mais ce qui importe surtout, c’est de reconnaître et de nous bien persuader que si nous avons à nous plaindre des autres, nous avons aussi à nous plaindre de nous, que nous sommes pour quelque chose dans notre isolement, que nous y avons contribué par nos fautes, par notre inconsistance, par notre manque de conduite. Quoi qu’en dise M. de Bismarck, on peut croire que ce n’est pas la forme de nos institutions, mais l’usage que nous en avons fait qui a nui à notre crédit en Europe, et qu’une république sage, circonspecte, avisée, bien gouvernée, s’y ménagerait sans trop d’effort des relations utiles.

Ce n’est pas à la république de 1793 ou de 1798 que nous devons demander des leçons de conduite. Grâce à la terreur qu’inspirait son nom, elle pouvait tout se permettre. Comme l’a remarqué M. Masson, tel de ses diplomates se trouvait bien d’unir l’arrogance à l’audace et l’audace à l’ignorance. A peine installé dans son ambassade, Bernadotte le prit de haut avec tout le monde. Il avait toujours la main sur la garde de son épée ; le sans-gêne de ses présentions, ses allures cavalières révoltaient la cour de Vienne, sans que personne osât se plaindre. L’archiduc Charles, à qui il avait demandé une audience, lui fit répondre qu’obligé d’accompagner l’empereur à la chasse, il le priait de remettre sa visite au jour suivant. Le lendemain, Bernadotte lui envoya dire par l’un de ses officiers « qu’il ne pouvait avoir l’avantage de le voir. » Il exigea que M. de Thugut supprimât dans les almanachs autrichiens un