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que personne ne puisse soupçonner le but de l’expédition[1]. » Précautions inutiles ! Le 19 septembre, d’Aumont écrivait à M. le Duc de son quartier-général de Bar : « Dans trois semaines, les troupes seront aussi en état de servir que jamais… au voyage d’Allemagne près. »

Et cependant les trois semaines n’étaient pas écoulées que ces troupes marchaient « vers la Sarre. » Cet euphémisme me faisait plus illusion à personne. Le nom du jeune et victorieux général avait produit un effet magique. Les officiers oublièrent leur misère, qui était grande ; les soldats avaient confiance ; tous partirent de bon cœur ; on regarda cela comme un miracle[2]. Espenan, d’Aumont, Sirot et Noirmoutiers, maréchaux de camp, marchaient à la tête des colonnes et furent bientôt rejoints par Bantzau, lieutenant-général. Le pain était prêt aux lieux indiqués ; la « montre » se fit attendre, comme toujours, mais finit par arriver. M. le Duc s’arracha aux félicitations, aux fêtes, aux plaisirs, aux joies de la famille, aux affaires, partit de Paris le 4 octobre et voyagea avec une rapidité inouïe pour l’époque, grâce aux relais que Bantzau, mettant à contribution les carrosses des évêques et des intendans, lui avait fait préparer partout. Arrivé Le 6 à Bar, il était, avec ses troupes, le 11 à Pont-à-Mousson, le 14 à Château-Salins, puis à Sarrebourg, où il reçut des nouvelles de Guébriant ; le messager était Tourville, premier gentilhomme de M. le Duc et proche parent du maréchal ; il était allé annoncer au quartier-général d’Ernstein la marche de l’armée du Luxembourg, et il rapportait une note confidentielle où Guébriant, insistant sur l’urgence des secours qu’il attendait, donnait quelques indications pour la marche sur Kaiserslautern et Spire dans le cas où M. le Duc voudrait l’entreprendre avec son armée affaiblie. Mais déjà Anguieu avait abandonné cet aventureux projet, et il venait d’expédier Chabot à la cour pour en donner avis[3]. Ayant rempli la première partie de ses instructions, atteint la Sarre avec toute son armée, il constitua définitivement le détachement destiné « à faire le reste du voyage. » C’était le moment critique ; mais « la présence du duc d’Anguien maintint tout le mande dans le devoir. » Le corps détaché, placé sous les ordres de Hautzau, Avec Sirot et Noirmoutiers pour maréchaux de camp, était de quatre mille hommes de pied et deux mille six cents chevaux ; on avait tenu à ce qu’il ne parût pas composé de troupes sacrifiées. A défaut des « vieux, » les deux régimens de la reine furent

  1. Lettre du roi du 4 septembre et autres.
  2. Voir les lettres de d’Aumont et autres.
  3. Cette résolution fut approuvée. Lettre de Mazarin du 22 octobre.