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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/410

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d’Oviedo, revêtir, lui aussi, la pourpre, et gouverner l’Espagne ? Et ne les avait-il pas vus enfin, eux deux, Dubois et Alberoni, le valet insolent et le bouffon cynique, Mascarille et Sbrigani, sous le nom de leurs maîtres, par goût naturel de l’intrigue et par pur amour de l’art, brouiller la paix du monde ?

Gil Blas, le Gil Blas de ce troisième volume, tour à tour secrétaire de l’archevêque de Grenade et confident du duc de Lerme, n’a suivi que de loin ses modèles, mais il est bien de leur espèce. Ce que nous serions tentés aujourd’hui de noter d’invraisemblance dans la diversité même des conditions qu’il traverse, c’est précisément ce qu’il y a de toute son histoire qui ressemble le plus à celle de son temps. Ainsi faisait-on son chemin. Quand on a le bon esprit de préférer aux apparences vaines, — telles que le droit de s’asseoir sur un tabouret ou le privilège de se couvrir devant le roi, — les réalités palpables de la fortune et du pouvoir, c’est un titre pour y parvenir que de commencer, dans une société monarchique fortement organisée, comme les Dubois et comme les Alberoni, par manquer de naissance. Mais dans une société corrompue, si l’on manque de scrupules en même temps que de naissance, et qu’ainsi l’on se trouve prêt à tout faire indifféremment, — rédiger, comme Gil Blas, un mémoire politique, et pourvoir, comme Gil Blas, aux plaisirs du prince, — le moyen alors est sûr, et le chemin tout droit de la servitude à la puissance. Le Sage ne s’y est pas trompé. Je ne sais à quelle intention, dans la première partie de Gil Blas, il avait inséré cette amusante apologie de l’état de laquais, où je renvoie le lecteur, mais je constate que, dans cette seconde partie, les événemens se sont en quelque manière chargés, d’amusante qu’elle était, de la rendre profonde. C’est bien là ce que nous admirons dans ce troisième volume. Et nous pouvons are que, comme tout à l’heure, dans les deux premiers volumes de Gil Blas, nous avions vu Le Sage élargir aux proportions d’un tableau de mœurs ce qui n’était dans les romans espagnols qu’un tableau d’aventures grotesques et de basses filouteries, ainsi maintenant, nous le voyons agrandir, dans ce troisième volume, le tableau de mœurs à son tour jusqu’aux proportions d’un véritable tableau d’histoire.

Les critiques espagnols ont été si frappés de l’exactitude et de la ressemblance de la peinture, le romancier leur a paru si parfaitement informé de faits si particulière, ils ont enfin trouvé le détail lui-même des mœurs si profondément espagnol, que c’est de cette partie, qui cependant contient le moins d’imitations manifestes, qu’ils ont voulu tirer, par un tour inattendu, leurs plus forts argumens pour prétendre qu’un auteur espagnol avait seul pu tracer cet admirable tableau. Et, de fait, lorsque l’on se reporte du roman à l’histoire,