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ce n’est pas moins toujours une défaite. Cet échec, qui est le premier essuyé par le ministère, a évidemment plusieurs causes. Il y en a une toute personnelle peut-être : c’est que M. Bradlaugh n’excite ni intérêt ni sympathie. Il a pu dire sans trop se tromper devant la chambre : « Vous avez très mauvaise opinion de moi. » C’est vrai ; le bill avait le tort de paraître proposé justement en faveur d’un personnage peu intéressant, peu en crédit. Il y a une autre raison assurément plus sérieuse, plus profonde : c’est que, malgré tout, cette réforme du serment religieux répugne visiblement à une portion considérable de la majorité ministérielle, aux vieux whigs, qui se sont obtenus en assez grand nombre. Elle répugne plus vivement encore au sentiment populaire, à la masse nationale, qui n’a montré que de la froideur pour la proposition du gouvernement. On a beau dire que la tradition anglicane a déjà plié devant les catholiques, devant les israélites, qu’elle devra plier devant les athées. C’est possible ; les Anglais ne paraissent pas en être là. Il s’est même trouvé un député israélite qui a été un des plus vifs contre le bill.

De toute façon, le ministère a été battu. Que peut-il, en définitive, résulter de ce vote ? Il est bien clair que le cabinet n’en est point ébranlé pour le moment, qu’il ne peut pas y avoir une crise ministérielle pour M. Bradlaugh, à la suite d’un coup de scrutin qui n’avait rien de décisif, qui ne change pas les rapports des partis. Les conservateurs seraient les premiers embarrassés d’être appelés à former un ministère dans ces conditions, avec une majorité qui n’est pas réellement une majorité, qui compte des libéraux, des Irlandais avec la masse des tories. Le cabinet n’a pas pu penser un instant à donner sa démission ; il peut encore moins songer à une dissolution du parlement, qui serait pour le moins très risquée, très hasardeuse, si elle était décidée à propos d’une question où le pays a été loin de suivre le gouvernement de ses sympathies et de ses vœux. Le dernier vote de la chambre des communes n’a donc rien changé essentiellement et ne peut avoir aucune conséquence immédiate. Il est tout au plus un symptôme, un avertissement. Il est le signe saisissable de ce qu’il y a de difficile, de fragile peut-être dans la situation générale du ministère et du parlement. M. Gladstone supplée à tout sans doute par un ascendant incontesté, par une puissance de parole qui vient de se révéler ces jours derniers encore avec éclat. Il n’est pas moins dans la condition laborieuse d’un chef de gouvernement toujours occupé à résoudre le problème de concilier lord Hartington et M. Chamberlain, de maintenir intacte, autant que possible, une majorité composée de vieux whigs et de radicaux. Il ne peut faire un pas vers les radicaux sans se créer des embarras d’un autre côté. Et qu’on le remarque bien : ce n’est pas même sur une question comme celle du serment parlementaire que les dissentimens peuvent être le plus dangereux. Il est